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La Vénus de Botticelli est-elle porno ?

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La Vénus de Botticelli, vielle dame de 500 ans, subvertit la jeunesse

Parmi les surprises auxquelles peut conduire le métier de producteur, il y a celle de voir le site Youtube frapper l’épisode 3 de l’Art en Question, web-série éducative d’une “interdiction aux moins de 18 ans“.

Lady Gaga en Vénus (cliquez pour agrandir)

Lady Gaga en Vénus (cliquez pour agrandir)

La chose est d’autant plus piquante que la série est par ailleurs sponsorisée par le Google Art Project, cofinancée par plus de 400 donateurs dont de nombreux enseignants et dûment vérifiée par une équipe d’universitaires chevronnés… Lady Gaga (ci-contre) et Miley Cyrus n’ont qu’à bien se tenir : la scandaleuse Vénus débarque sur sa coquille pour corrompre la jeunesse !

Visuel épisode 1Le Quotidien de l’Art, le NouvelsObs ou l’Exponaute (Revue de presse) ont d’ailleurs repris certains des visuels les plus sensationnalistes de l’épisode.  ;)

Cette décision fournit peut-être la preuve romantique qu’un nu féminin de plus de 500 ans (1483/85) “choque encore”, et donc une preuve par l’absurde de la puissance de l’art et du nu…

… mais elle souligne surtout, plus prosaïquement, que les procédures mises en place par Youtube sont biaisées : malgré l’évidence de l’erreur, le producteur est présumé coupable et doit implorer une “instance d’appel” mystérieuse dont la décision reste non motivée et sans appel.

Des sanctions immédiates

Capture ecran accueil

L’écran d’avertissement sur Youtube : il faut prouver qu’on est majeur pour voir la vidéo

La vidéo reste heureusement accessible à tous sur le site www.canal-educatif.fr, où personne -hommes, femmes, enfants- ne semble avoir été choqué. Mais sur Youtube, les sanctions sont immédiates : blocage d’éventuelles publicités (Vénus pourrait salir les marques des annonceurs), obligation pour les internautes de se connecter pour voir la vidéo en “prouvant leur âge”, etc.

La cohérence qu’on pourrait attendre d’un leader technoligique n’est d’ailleurs pas de mise. Il existe  plusieurs versions de la vidéo, que les algorithmes de Youtube ne semblent pas juger avec la même sévérité : sur le site CED, elle a été vue 18.931 fois, sur Youtube la version “classée X” 8.926 fois, deux autres versions (au contenu identique)  4.000 et 3.300 fois et une version anglaise 5.300 fois

Visuel 3Faut-il en conclure que certains “robots” Youtube sont plus libéraux ou “européens” que d’autres ? Tremblons : certains ont peut-être déjà été contaminés par l’esprit subversif de Canal Educatif et sont “excités” à la vision de nus féminins de la Renaissance et du XIXème…

Une décision sans motifs ni recours

Capture système appel Youtube

Une vraie-fausse procédure d’appel

Dans l’administration de notre compte, nous trouvons  la mention : “Conformément au Règlement de la communauté, une limite d’âge (fixée à 18 ans) a été appliquée à cette vidéo.” Bien entendu, aucun motif spécifique n’est invoqué : “les voies de Google sont impénétrables” -ou never complain, never explain” en version anglaise. 

Une “procédure d’appel” (image ci-dessus) est possible, mais il s’agit à l’évidence d’une parodie d’arbitrage, les décisions de Youtube n’étant, comme on l’a déjà dit, pas motivées et sans recours. Autrement dit, cette “procédure d’appel” est en fait le premier moment et le dernier où l’on demande au propriétaire de la vidéo de fournir un motif pour sa défense (dans une ligne de formulaire où il faudra deviner quelle image, quelle représentation a bien pu choquer).

Pouvoir technologique = pouvoir tout court

Cet exemple démontre une fois de plus que les instances qui acquièrent un pouvoir technologique prétendument neutre finissent toujours par exercer un pouvoir tout court, où ils manifestent nécessairement des préférences, en l’occurrence ici pour une forme “d’asepsie”.

Nous ne nous faisons évidemment aucune illusion sur le fait qu’il s’agit d’une malheureuse erreur, qui devrait plus donner à rire qu’à pleurer. Il n’en reste pas moins que c’est au producteur de payer la facture de cette farce : c’est à lui de consacrer du temps et des efforts à “prouver son innocence”.

Vivement une vidéo sur l’Origine du Monde ! Mais pour CED ce sera sans Youtube.

Le Saint François de Bellini : le paysage comme nouvelle religion ?

A chaque épisode de l’Art en Question (ici l’épisode 7), une interview permet d’approfondir et critiquer le film. Thomas Golsenne, professeur d’histoire de l’art, membre du comité de rédaction d’Images re-vues, examine si nous pouvons voir dans le Saint François le début d’une conception “moderne” du paysage.

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CED > Le Saint François de Bellini a été acheté en 1915 par Henri Clay Frick, un magnat de l’acier américain qui, en bon protestant, ne semblait pas particulièrement priser l’imagerie religieuse (voir cet article) : pour lui, le Saint François de Bellini était avant tout un “paysage”. Une telle vision du Saint François risque-t-elle de “mutiler” l’oeuvre ?

Thomas Golsenne > Un regard totalement « profane » sur cette œuvre serait anachronique. Quand elle a été réalisée, à la fin du XVe siècle, l’Europe, et même l’Italie humaniste, était encore complètement régie par la culture chrétienne. Venise comptait plus d’une centaine d’églises et chaque Vénitien actif faisait partie d’au moins une confrérie laïque, une des scuole typiquement vénitiennes. Bellini était membre de lascuola grande de San Marco et de celle de la Misericordia, deux des plus importantes de la cité des Doges. Ces confréries avaient des activités religieuses comme organiser les processions, célébrer les mariages et les naissances, se soucier des morts etc. Plus précisément, saint François était alors le saint le plus populaire d’Italie, peut-être d’Europe. Ce fils de marchand, au langage simple éloigné des arguties scolastiques, prêchant le message de l’Evangile, était en phase avec une population de laïcs urbains pour qui il constituait un modèle. Son message était en outre efficacement relayé par l’ordre franciscain et les prédicateurs de l’Observance, mouvement rigoriste qui réussissait à s’attirer la sympathie des élites comme des gens simples.

CED > Intéressons-nous alors au sujet religieux de l’oeuvre, qui est tout de suite problématique : pour les uns, il s’agit bien d’une stigmatisation en raison notamment des deux sources lumineuses dans le tableau, pour les autres d’un moment différent, par exemple celui où St-François loue la création en chantant face au soleil. Qu’en pensez-vous ?

Thomas Golsenne > La question s’est posée parce que le tableau a tout d’une Stigmatisation sauf l’essentiel : la vision séraphique. Les historiens de l’art les plus positivistes (ndrl : qu’est-ce que le positivisme ?, voir section “L’école positiviste en histoire”) ont pensé que le séraphin apparaissait sur une partie manquante du tableau, en haut ; d’autres effectivement ont émis l’hypothèse qu’il ne s’agissait pas d’uneStigmatisation, à cause de ce manque iconographique essentiel ; mais la louange chantée de la création n’est pas une scène du répertoire visuel franciscain au XVe siècle.

Mon hypothèse part plutôt de l’idée d’une invention étonnante de Bellini : remplacer les éléments surnaturels traditionnels par une extase devant le spectacle de la nature même. Même si on ignore le fin mot de l’histoire et les intentions du peintre, je préfère parier pour sa créativité que pour un découpage maladroit ou pour une scène inventée par les historiens de l’art.

CED > C’est effectivement la thèse que reprend le film. En comparaison avec les récits littéraires de la Vie du saint (voir le site Wikitau) qui s’étendent souvent sur les pouvoirs spectaculaires et surnaturels du saint, on a le sentiment que Bellini exprime un surnaturel“discret”, “subtil”, voire absent. Nous pourrions être tentés d’y voir le symptôme d’une attitude plus critique de l’époque à l’égard du “surnaturel” : est-ce exact ?

Guerchin, St François et un ange, v. 1630, Dresde Gemäldegalerie

Thomas Golsenne > C’est bien la particularité de ce tableau sur laquelle nous avons voulu insister : les signes surnaturels et traditionnels du sacré (auréole, anges, Dieu, séraphin christique) ne sont pas visibles. Toute l’intelligence picturale de Bellini consiste àsuggérer une « atmosphère » sacrée avec des éléments naturels, ou en jouant avec des effets de lumière subtils (les deux sources de lumière).

Ce choix est-il personnel ou bien une tendance dans la peinture vénitienne, ou bien encore l’effet d’un climat intellectuel particulier ? Sur ce dernier point, il faut faire attention.L’humanisme, certainement, comme mouvement intellectuel d’intérêt pour les écrits grecs et latins, et par extension, pour tout ce qui touche à l’Antiquité, a pu connaître desdéveloppements sceptiques, voire critiques à l’égard de ce que nous appelons « superstition », par exemple avec Erasme aux Pays-Bas. En Italie, des humanistes romains dans les années 1460-70 ont été condamnés pour impiété et paganisme par le pape (vénitien) Paul II. Récemment, Anne Kraatz a publié un livre, Luxe et luxure à la cour des papes de la Renaissance (Belles Lettres, 2010) dans lequel la société romaine du XVe siècle et de la première moitié du XVIe est dépeinte comme un repaire digne du marquis de Sade. Mais il ne faut pas exagérer non plus. Personne, à l’époque, n’aurait osé se clamer athée, et quelqu’un comme Erasme était très pieux. La tendance majoritaire, dans les milieux cultivés, était plutôt à concilier les lettres classiques et les Evangiles. C’est, d’une certaine façon, ce que produit à sa manière Bellini, enconjuguant une histoire religieuse et médiévale à une description de la nature qui répond aux critères humanistes, c’est-à-dire antiques (virgiliens), de la beauté naturelle : mi-sauvage mi-cultivée.

CED > Ces “critères humanistes” ou l’exigence de “description de la nature” que vous venez d’évoquer conduisent-ils à « modérer » l’expression des phénomènes miraculeux ou faut-il chercher une autre raison à la sobriété du miracle chez Bellini ?

Thomas Golsenne > Il existe plusieurs formes d’humanisme à l’époque, plus ou moins philologiques, philosophiques ou poétiques. On ne peut pas donner une réponse univoque à votre question. Pour ce que j’en connais, je donnerais deux exemples très différents.

Le premier c’est Leon Battista Alberti, le Florentin. Dans un très bon livre, L’idée de nature chez Alberti, Michel Paoli explique que celui-ci a une vision stoïcienne de la nature : elle est fondamentalement imparfaite. Ce qui va à l’encontre de la vision théologique de la nature qui, créée par Dieu, ne peut être que parfaite. Du coup, la nature albertino-stoïcienne a besoin d’être corrigée, améliorée par l’homme : c’est le rôle des arts.

Autre vision humaniste de la nature : c’est L’Arcadia de Jacopo Sannazaro de Naples, roman pastoral répandu dans toute l’Italie, et qui exprime une vision enchantée de la nature, avec nymphes, satyres et bergers, plus proche de l’univers visuel de la peinture vénitienne du XVIe siècle, mais tout aussi prodigieuse que dans la vision chrétienne de la nature.

Le tableau de Bellini correspondrait plutôt à une vision albertienne de la nature, d’où le divin est en retrait et que l’homme doit parfaire par sa production. Ce Bellini albertien a déjà été décrit par des historiens de l’art comme Hans Belting, dans un très bon petit livre malheureusement pas traduit en français. Cela étant dit, le style de Bellini en général est assez spécifique et puissant pour ne pas tout devoir à la lecture d’un humaniste. Certains historiens de l’art ont parfois trop tendance à expliquer les oeuvres d’art par des références écrites, théoriques. Je parlerais plutôt d’une rencontre heureuse entre une personnalité picturale et une problématique formulée par l’humaniste florentin, que de simple influence. En d’autres termes, j’observe une congruence entre la subtilité des moyens plastiques mis à l’oeuvre par Bellini dans toute son oeuvre (éviter la dramatisation, jouer sur l’ambiance lumineuse plutôt que sur les gestes, penser autant l’atmosphère d’ensemble que les détails, vouloir susciter la méditation plus que la compassion) et la réflexion stoïcienne d’Alberti sur le rôle de l’art dans le rapport de l’homme à la nature.

CED > Les raisons du choix de Bellini restent donc relativement ouvertes ! L’interprétation pourrait alors se tourner vers l’un des effets particuliers du tableau sur le spectateur : au travers du modèle du saint, il nous conduit à admirer la nature, comme une oeuvre divine positive. N’est-ce pas l’amorce d’une évolution artistique importante, celle où un paysage peint peut être apprécié pour lui-même sans besoin d’un “prétexte” narratif ou religieux ?

Maître de l’Observance, Tentation de saint Antoine (c1435), Musée de l’Université de Yale

Thomas Golsenne > On pourrait dire en effet que le tableau de la Frick anticipe les paysages « purs » du XVIIe siècle. Mais on pourrait dire aussi que les paysages sans « prétexte » narratif sont une autre classe de paysage. En effet, des paysages narratifs, il y en a jusqu’à Cézanne (Baigneuses), Matisse etc. C’est un genre qui perdure, même si les figures ne sont plus religieuses.

Cézanne, les Grandes Baigneuses, Philadelphie (1906)

J’aurais plutôt tendance à voir une « bifurcation » dans la peinture du paysage (à la manière dont les ancêtres de l’homme sont une bifurcation dans la famille des primates) au XVIIe siècle, où l’on voit apparaître, en Italie comme ailleurs, des paysages sans narration (Claude Lorrain, Salvatore Rosa, Jacob Ruysdael…). A l’époque de Bellini, il est assez commun chez les bons peintres de détailler un paysage plus ou moins vraisemblable à l’arrière-plan de l’histoire représentée (exemples chez Pinturicchio, Perugino, Piero della Francesca, Antonello de Messine etc.). Mais justement, la particularité de ce tableau-ci, c’est que le paysage ne joue pas qu’un rôle d’arrière-plan : il fait partie de la narration, il entre en dialogue avec le saint.Mais personne ne pouvait imaginer en 1490 qu’un paysage sans figure suffirait à faire un tableau. Bergson raconte une anecdote parlante à ce sujet : interviewé par un journaliste, il se voit demander quelle sera la musique de demain. Il répond qu’il n’en sait rien, que s’il le savait, elle existerait déjà. Par là il voulait pointer du doigt le fait que l’avenir n’est pas contenu dans le présent, qu’il y a toujours un élément imprévisible dans le devenir du temps. C’est une leçon pour les historiens : il ne faut pas tenter systématiquement d’expliquer les développements futurs d’une idée, d’une situation ou d’une forme artistique, à partir de ses prémisses, mais il faut plutôt observer comment et pourquoi quelque chose de nouveau apparaît.

CED >Essayons donc d’apprécier la nouveauté que constitue ce paysage de Bellini et de savoir s’il témoigne d’une nouvelle “vision du monde”. Plusieurs penseurs dont Gombrich et Panofsky (voir annexe 2 ci-dessous) ont souligné le fait que les paysages de l’Antiquitén’obéissaient pas à la logique de continuité visuelle qui est celle de Bellini, avec différents plans qui s’étagent sans rupture du premier plan vers l’arrière-plan. Pour caricaturer, la logique antique semble compatible avec la pensée superstitieuse du Romain, qui s’attend à croiser un dieu ou l’esprit d’un mort quand il prend la route. Au contraire, la logiquecontinue qui serait celle de la Renaissance irait de pair avec une vision de la nature beaucoup plus ordonnée : peut-on lire dans le paysage de la Renaissance une conception nouvelle de la nature (au sens du “monde physique”) ?

Arrivée d’Ulysse aux Enfers, Fresque de la maison de la via Graziosa sur l’Esquilin (vers 40 avant JC), Rome, Musées du Vatican, Bibliothèque vaticane

Thomas Golsenne > Il ne faudrait pas opposer aussi franchement pensée antique « superstitieuse » et pensée de la Renaissance « cohérente », même si Gombrich et Panofsky font de la Renaissance les débuts des temps modernes et du cartésianisme. Je renvoie aux travaux des romanistes, en particulier Paul Veyne (La Société romaine, ou L’empire gréco-romain) qui montrent la cohérence propre au système de pensée et à la culture de ces sociétés très différentes des nôtres. Par ailleurs, rappelons qu’à la Renaissance, tout le monde croit en l’astrologie, en la magie, qu’on fabrique des mannequins de cire à sa ressemblance et qu’on les place dans les églises pour se protéger des ennemis ou pour remercier la divinité d’une grâce octroyée et autres croyances et pratiques peu compatibles avec le cartésianisme, au sens moderne.

Ceci étant mis au point, il est vrai que quand on regarde un paysage peint par les Romains de l’Antiquité, on ne comprend pas ce qui se passe, comment est construit l’espace, alors qu’on peut comprendre chaque objet, chaque figure isolément. Au contraire, devant un paysage comme celui de Bellini, ou de Léonard, on a le sentiment d’avoir affaire à un espace continu qui ressemble à celui de notre perception. Daniel Arasse dans ses travaux sur la perspective a tenté d’expliquer cet écart en se référant à des systèmes philosophiques. L’espace continu n’existe pas pendant l’Antiquité parce que domine le concept aristotélicien du lieu. Pour résumer honteusement, le lieu est l’étendue qui abrite un corps. Il n’y a pas d’espace (vide) entre les corps, entre les lieux,pas d’espace abstrait a priori, comme le postuleront les géométriciens du XVIIe siècle. Ce qui explique pourquoi, dans la peinture antique, et même médiévale, selon Arasse, les personnages sont toujours cloisonnés dans des lieux à eux et l’espace découpé en fragments comme autant de figures représentées ; il en va ainsi du polyptyque.

Simone Martini, Polyptyque, Pise

Ce qui se produit au XVe siècle, toujours selon Arasse, et dont la perspective géométrique ou le paysage à la Bellini sont des manifestations, c’est un changement radical dans la conception de l’espace : non plus le lieu aristotélicien attaché à un corps, mais un espace continu entre les corps. Il ne s’agit pas là d’une forme de représentation de l’espace plus « cohérente », mais d’un autre genre de cohérence, qui s’appuie sur la ressemblance avec la perception.

CED > Si je comprends bien, vous dites que l’espace de la peinture antique est cohérent avec une « physique antique », qui conçoit l’espace plutôt comme un agrégat de corps, alors que les modernes sont cohérents avec l’idée d’un espace géométrique systématique (et abstrait), qui leur permettrait paradoxalement d’être plus fidèles à la perception. Or, en physique, personne n’hésite à critiquer la physique d’Aristote, qui conduit à des contradictions majeures avec l’expérience. En parlant « d’un autre genre de cohérence », ne refusez-vous pas l’idée que l’œuvre de Bellini manifeste un progrès dans la manière d’appréhender l’espace ? Un historien comme Gombrich n’hésite pas à parler de « loi de la pesanteur qui retient l’artiste inexpérimenté hors des hautes sphères des relations mimétiques et qui l’attire vers ce qui est fragmentaire et schématique » : entre ces deux cohérences, il y en a donc une qu’il trouve plus cohérente, plus difficile et donc « supérieure » à l’autre… Est-ce un sujet qui divise l’histoire de l’art ?

Thomas Golsenne > Je n’ai pas dit que « les modernes sont cohérents avec l’idée d’un espace géométrique systématique » en parlant de la perspective du XVe siècle : je ne pense pas, comme Arasse du reste, que la perspective introduise à une idée « moderne » de l’espace au sens de Désargues ou de Kant (un a priori de l’entendement). Par exemple il n’y a pas d’infini dans les conceptions de l’espace au XVe siècle. Sur ce sujet je conseille la bonne mise au point de Lucien Vinciguerra, Archéologie de la perspective. En somme, je ne pense pas que le tableau constitue un « progrès dans la manière d’appréhender l’espace », parce qu’elle est encore très différente de la nôtre. On pourrait dire que sa manière de représenter l’espace est plus convaincante que celle de Mantegna dans la façon de gérer la lumière, par exemple, ou eu égard à ce qu’on pense être une montagne vraisemblable. Mais n’oublions pas que nous parlons de peinture et d’art, pas de visions physiques ou scientifiques de l’espace. Quant à Gombrich, ça fait longtemps que son positivisme hostile à toute forme d’art non figurative a été critiqué ; voilà l’exemple de quelqu’un qui pensait que toutes les formes artistiques étaient explicables par un seul concept, un seul point de vue, le sien.

CED >L’espace du tableau de Bellini apparaît aussi comme le lieu d’une opposition entre la ville et le reste du monde, mais cette opposition ne semble pas irréconciliable. Le tableau ne traduit-il pas l’évolution de la pensée franciscaine au cours des siècles : alors que les premiers franciscains sont particulièrement intransigeants avec ce qui pervertit à leurs yeux la nature (toutes les formes de pouvoir, l’argent, la propriété), on sait qu’il ont plutôt contribué ensuite à effectuer un travail pacificateur de légitimation du commerce, de la finance, … Le film soutient que le tableau cherche à rappeler au citadin l’esprit de gratitude qui est celui de saint François dans la nature, mais ne la diabolise pas. On serait donc loin de saint François qui commandait à ses frères de se débarrasser des pièces de monnaie en les comparant aux excréments de l’âne. Partagez-vous ce sentiment ?

Thomas Golsenne > Il y a plusieurs ruptures dans le franciscanisme : déjà quand François lui-même est évincé en 1220 de la direction de l’Ordre au profit de frère Elie, qui veut en faire un instrument de pouvoir sur les laïcs (et y réussit). Ensuite, au milieu du XIVe siècle, pendant la papauté d’Avignon (période où les papes étaient réputés pour leur amour de l’argent et leur avarice), quand furent déclarés hérétiques tous ceux qui professaient la pauvreté absolue : les franciscains durent mettre de l’eau dans leur vin pour se ranger du côté du pape et faire la chasse aux « hérétiques », parfois issus de leur propre rang (Le Nom de la rose d’Umberto Eco montre très bien cette période). Enfin au XVe, quand l’Ordre se coupe en conventuels (plus riches, logés dans les centres urbains) et observants (plus respectueux du vœu de pauvreté, relégués dans les marges des villes) jusqu’à la scission de 1517. Bref, globalement, il y a toujours eu un mouvement d’« embourgeoisement » chez les franciscains majoritaires, et une minorité qui se détache et veut revenir à l’esprit des origines. Le tableau de Bellini n’est pas une œuvre militante ; la figure de François est œcuménique, la scène de la Stigmatisation une des plus représentées de sa biographie. De plus, l’esprit qui y domine est celui de laconciliation entre spiritualité chrétienne et bucolisme à l’antique, d’une esthétique de la modération (des affects, des couleurs, du paysage). Ce qui suffit à écarter ce tableau des formes les plus extrêmes ou rigoristes du franciscanisme et plaide plutôt pour un tableau à destination d’un public laïc, cultivé, pas plus dévot que cela.

CED > En regardant le tableau, on a l’impression que les beautés de la nature sont une voie d’accès à un dieu plus abstrait. Pendant le développement du film, vous avez vous-même évoqué Spinoza qui affirmera deux siècles plus tard que “Dieu c’est la nature”, mais dans un sens radicalement opposé : pour lui Dieu, c’est simplement l’ensemble de ce qui est, il n’y a plus de “créateur”, et ce ne serait que par des projections indues que nous verrions dans la nature des “volontés”, des “intentions” qui seraient par exemple celles d’un créateur bienveillant. Dans l’histoire du paysage, peut-on déceler un “moment” qui correspond à cette idée d’une nature sans “finalités”, indifférente à l’homme ? Ne peut-on pas dire que l’art reste longtemps prisonnier d’une vision anthropomorphique de la nature ?

Thomas Golsenne > Le paysage étant une invention de l’homme (c’est la nature vue par et pour l’homme), parler d’un paysage non anthropomorphique, ou du moins sur lequel l’homme ne projetterait pas sa culture et ses représentations, serait presque un non-sens. Il faut peut-être attendre Rousseau, l’éloge de la montagne et la naissance du sentiment du « sublime » face à la nature, pour que les descriptions prennent en compte un décalage fondamental entre l’homme et une nature qui n’est pas faite pour lui. Il faut lire L’Invention du paysage d’Anne Cauquelin ou les travaux de Baldine Saint-Girons sur le sublime pour plus de précision.

Dans Par delà nature et culture, l’anthropologue Philippe Descola a une vision quelque peu différente des choses, puisque selon lui, le « naturalisme », qui définit le mode européen d’accès au monde et s’élabore lentement depuis l’Antiquité, a pour effet corrélatif l’apparition du paysage indépendant. Le naturalisme, selon lui, distingue l’intériorité de l’homme de celle de tous les autres vivants (singularité culturelle de l’homme), tandis qu’il associe sa physicalité aux autres animaux (l’homme est un mammifère de la famille des primates etc.). D’où la scission nature (physique) / culture (intellectuelle) qui serait propre à la civilisation européenne. Le paysage autonome en peinture naîtrait de cette idée d’une nature purement physique, observable en toute objectivité. Mais cette démonstration néglige le fait que le paysage est lui-même une construction culturelle. C’est un grand débat, donc.

CED > Le film évoque une distinction entre le merveilleux et le fantastique, qui apparaît formellement plus tard en littérature. Si l’on se réfère au dictionnaire, le “merveilleux” suppose l’acceptation du lecteur ou du spectateur du surnaturel, comme un élément qui va de soi. Dans le cas du “fantastique”, il y un doute : à l’intérieur d’un ordre naturel, certains faits ou événements sont susceptibles de recevoir une interprétation naturelle ou surnaturelle. Il nous semble que Bellini joue particulièrement sur cette notion de doute, d’hésitation sur le statut de ce qu’on y voit. A certains égards, il pourrait faire penser à des tableaux de Paul Delvaux où des femmes nues se promènent extatiques au milieu de paysages architecturaux très géométriques. Que pensez-vous de cette notion de fantastique ?

Thomas Golsenne > La notion qui date du XIXe siècle de « fantastique » n’existe pas à la Renaissance. Quant au « merveilleux », il est alors synonyme d’« admirable ». Les cabinets de curiosité par exemple contenaient une catégorie d’objets appelés « mirabilia », les choses admirables/merveilleuses, qui pouvaient être des objets simplement précieux (tableaux de maîtres), rares (corne de nerval, à l’époque appelé « licorne »), puissants (reliques) etc. Les notions qui se rapprochaient le plus de fantastique/merveilleux dans le sens moderne étaient celles de « miraculeux » et celle de « prodigieux ». Un prodige était un événement étonnant, voire inouï, d’origine naturelle, par exemple un tremblement de terre, le passage d’une comète etc. Un miracle était aussi un événement étonnant, voire inouï, mais d’origine clairement divine (la résurrection d’un mort par un saint…). La différence entre les deux était donc souvent une question d’interprétation : quelle est la cause de tel phénomène ? Le tableau de Bellini, dans ce sens, pose bien un problème d’interprétation : ce que nous voyons est-il un prodige, un miracle, ou rien de tout cela ?

CED > Justement, si l’on emploie les catégories historiquement acceptables de « miracle » (intervention exceptionnelle, divine) et de « prodige » (événement exceptionnel, mais naturel), on peut penser que le tableau ne représente de façon certaine ni l’un ni l’autre. A l’exception des deux sources lumineuses, rien n’est ouvertement « extraordinaire ». Et pourtant, il y a un doute et Bellini semble avoir tout fait pour laisser notre sentiment irrésolu. Par exemple, les stigmates ont-ils été directement imprimés par Dieu ou s’agit-il simplement de blessures (auto)infligées par volonté d’identification au Christ ? Une étude, Saint François de Chiara Frugoni, que vous nous avez communiquée, montre que le fait de la stigmatisation était hautement contentieuxdès l’époque de la mort de François. Or, 250 ans plus tard, dans l’image de Bellini, cette question semble secondaire, comme si l’on voulait revenir à St-François lui-même (qui n’a jamais voulu montrer ou s’expliquer sur ces blessures) : plus que la nature, c’est l’état d’extase du saint, la disposition de son esprit, qui apparaissent exceptionnelles. Le point où je veux en venir est donc celui-ci : d’objective (rayons divins, anges, auréoles…), on passe à un divin subjectif (extase, yeux levés, etc). Comment peut-on appeler cette esthétique où la frontière entre l’ordinaire et l’extraordinaire n’est plus tranchée, et où la « bascule » dépend fortement du spectateur ?

Thomas Golsenne > Pour ma part je l’appelle, après le philosophe pré-marxiste Feuerbach dans L’essence du christianisme un « matérialisme mystique », ce qu’on peut retrouver aussi chez certains poètes, de Baudelaire à Breton en passant par Rimbaud, quand ils parlent d’« hyperesthésie » ou de « surnature ». Il s’agit toujours devoir la nature, le réel, comme quelque chose de surnaturel, de plus que réel. C’est aussi ce qu’Arthur Danto a appelé, à propos de l’art du XXe siècle, la« transfiguration du banal ».

Annexe 1 : un exemple de réflexion philosophique sur la notion de miracle.

Extrait de la Somme théologique (1266/73) de saint Thomas d’Aquin, qui montre qu’il s’agit de concilier la possibilité d’événements surnaturels avec la raison philosophique.

Article 6 — Dieu peut-il faire quelque chose en dehors de l’ordre naturel ?

Objections

1. S. Augustin écrit : “Dieu, auteur et créateur de toutes les natures, ne fait rien contre la nature.” Or il semble que ce qui est en dehors de l’ordre naturel inscrit dans les choses soit contre la nature. Donc Dieu ne peut rien faire en dehors de l’ordre inscrit dans les choses.

2. L’ordre de la nature vient de Dieu aussi bien que l’ordre de la justice. Mais Dieu ne peut rien faire qui soit en dehors de l’ordre de la justice, car il ferait alors quelque chose d’injuste. Donc, il ne peut rien faire en dehors de l’ordre de la nature.

3. C’est Dieu qui a institué l’ordre de la nature. Donc s’il faisait quelque chose en dehors de cet ordre, il faudrait en conclure, semble-t-il, qu’il est sujet au changement, ce qui est inadmissible.

En sens contraire, nous lisons chez S. Augustin que ” parfois Dieu agit contre le cours ordinaire de la nature “.

Réponse

Toute cause, parce qu’elle a raison de principe, introduit dans ses effets un certain ordre.

C’est pourquoi la multiplication des causes a pour résultat la multiplication des ordres ; et de même qu’une cause se trouve contenue sous une autre cause, ainsi en est-il des ordres eux-mêmes. Ce n’est donc pas la cause supérieure qui est contenue sous l’ordre de la cause inférieure, mais bien le contraire. Nous en avons un exemple dans les affaires humaines : car c’est du père de famille que dépend l’ordre de la maison, et celui-ci est contenu sous l’ordre de la cité, qui procède de son chef, tout comme l’ordre de la cité est contenu sous l’ordre du roi qui préside à l’organisation de tout le royaume.

Donc, si l’ordre des choses est considéré comme dépendant de la cause première, alors Dieu ne peut rien faire contre cet ordre, car en ce cas il agirait contre sa prescience, ou sa volonté, ou sa bonté. Mais si nous considérons l’ordre des choses en tant qu’il dépend de l’une quelconque des causes secondes, à ce point de vue Dieu peut agir en dehors de l’ordre des choses. Car Dieu n’est pas soumis à l’ordre des causes secondes ; c’est cet ordre qui lui est soumis, parce qu’il procède de lui non par nécessité de nature, mais par choix de sa volonté ; car il eût pu instituer un ordre de choses différent. C’est pourquoi il peut agir en dehors de tel ordre institué, quand il le veut ; il peut, par exemple, produire les effets des causes secondes sans leur concours, ou produire certains effets qui dépassent la puissance des causes secondes. De là cette parole de S. Augustin : “Dieu agit contre le cours habituel de la nature, mais il ne fait rien qui aille contre sa loi souveraine pas plus que contre lui-même.”

Solutions

1. Quand quelque chose arrive dans les réalités naturelles en dehors de leur nature foncière, cela peut se produire d’une double manière. D’abord, par l’action exercée sur une chose par un agent qui ne lui a pas donné son inclination naturelle ; ainsi l’homme qui lance en l’air un corps lourd ; ce n’est pas lui qui a donné au corps sa lourdeur, et l’action de cet homme va à l’encontre de la nature du corps. En second lieu, par l’action d’un agent duquel dépend l’inclination naturelle. Dans ce cas, il n’y a pas action contre la nature de l’être sur lequel l’agent exerce son pouvoir. Ainsi le flux et le reflux de la mer ne vont pas à l’encontre de la nature de l’eau, bien qu’ils soient en dehors de son mouvement naturel qui l’entraîne vers le bas. Le flux et le reflux viennent en effet de l’influence d’un corps céleste qui tient sous sa dépendance l’inclination naturelle des corps inférieurs. – Et puisque l’ordre de la nature a été inscrit par Dieu dans les choses, quand Dieu agit en dehors de cet ordre, il ne va pas contre la nature. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : “Ce que Dieu fait est naturel à chaque chose, car de lui dépend tout mode, nombre et ordre de la nature.”

2. L’ordre de la justice se réfère à la cause première qui est la règle de toute justice. C’est pour cette raison que Dieu ne peut rien faire en dehors de cet ordre.

3. Dieu inscrit dans les choses un certain ordre, en se réservant cependant d’agir parfois autrement pour une raison spéciale. C’est pourquoi, quand il agit en dehors de cet ordre, Dieu ne change pas.

Annexe 2 : extrait de la Perspective comme forme symbolique, Erwin Panofsky, éditions de minuit, p. 79

“(…) même là où -en terre romaine- l’art hellénistique va jusqu’à représenter des intérieurs ou des paysages réels, le monde ainsi élargi et enrichi n’atteint pas encore la cohésion d’un monde parfaitement unifié, c’est à dire d’un monde à l’intérieur duquel les corps et les intervalles d’espace libre qui les séparent seraient seulement les différenciations ou les modifications d’un continuum d’ordre supérieur (…) l’espace représenté reste un espace agrégatif ; nulle chance qu’il devienne ce qu’exigent et que réalisent les modernes : un espace systématique”.

Interview Côme Fabre: Van Gogh: not so mad genius?

For every episode, CED produces a fictitious interview to elaborate on points made in the film, or simply provide a little (self-) criticism. Côme Fabre, a young heritage conservationist and ENS graduate, worked with us on the script for this video. One of the questions we ask ourselves in this interview is whether, perhaps, we are trying too hard to reclaim Van Gogh for sanity.

English video:

Original French version with subtitles:

CED > Aren’t you trying to make the painter more rational than he really is? You tell us that his Starry Night (1889) is a carefully constructed and calculated picture, and that this applies equally to its composition and its brushwork. Its restless and tormented sky, far from being just a projection of the painter’s inner self, or indeed madness, is also – you tell us – part of a strategy to restore the sky’s “sublime” power as symbol of the divine; to assert the value of faith, as compared with the deceptive lights of the modern city? Must we simply stop talking about Van Gogh’s “madness” or his subjectivity?

Côme Fabre > Of course, there’s nothing strictly rational about Van Gogh’s landscape, but the point we thought worth emphasizing was the extent to which his pictures are inter-connected, and serve an intention he describes at length in his letters. What we were trying to show, generally, in the film is that Vincent Van Gogh is far more interesting than the tear-jerking stories people love to hear about him, which make him sound like some kind of saintly martyr: how he quarelled with Gauguin, cut off his own ear, was locked up in an asylum, was always short of money and starved of affection, committed suicide, and all the rest of it.  Research on Van Gogh has advanced considerably in the last few years, particularly thanks to systematic analysis of his letters, which we try to quote in the film, but which you can read in full on a dedicated website (vangoghletters). The man you find in the letters is sensitive, cultivated and sincere, and also has a lot of humour in his make-up. He’s an expert on theology, but without a trace of bigotry; he’s as a much a fan of Shakespeare’s tragedies as he is of Voltaire’s biting irony in Candide. He relies on his brother Théo to keep him in touch with the latest developments in the art world, and with the Paris art market, whose workings he knows inside-out; and then, a few lines further on, he’s suddenly telling him – frankly and without hypocrisy – about his sex-life and health problems.

Even in his lifetime, there was a huge gap between the way he was seen by his few intimate correspondents, and the people who knew him only through his paintings. When the Parisian art critic, Albert Aurier, gave him his first good write-up in March 1891,  Van Gogh thanked him – but one gets the feeling that he wasn’t too happy at being compared to a circus animal, or some puzzling and dangerous visitor from another planet. You should read Aurier’s article (en français; en anglais): it’s amazing how Van Gogh’s art inspires him to the weirdest flights of fancy – he compares it to the work of “a brutal-handed giant”, “a child-like spirit” or “a hysterical woman having nervous convulsions”! Aurier was no fool, he knew perfectly well that all this nonsense had nothing to do with reality. It was just a marketing strategy to get a certain kind of Parisian art-lover – the kind who liked the symbolists, and was always on the look-out for the novel, the odd, the esoteric – interested. In a sense, Van Gogh’s death a few months later was the icing on the cake: his suicide put the final touch to the public’s image of him as a weird and solitary madman. That’s how the legend of the mad genius got started, long before gallery guides repeatedly papered the walls with it in the later twentieth century. Of course, the legend itself ties in completely with our hackneyed preconceptions concerning artists – ever since the Romantics, they’ve been seen as oddities. It will take a long time to correct that false image, and get the public interested in a “different” Van Gogh. This film is just one small contribution, among others…

CED > You compare Van Gogh’s Night to the work of earlier painters, who depicted natural disasters or storm-shredded skies (think of Greco’s clouds) – which suggests a certain continuity with his predecessors’ subject-matter. And yet, in all those earlier pictures, you have the feeling that there’s still some link with reality, while Van Gogh is obviously bent on distorting it – on going over the edge and into excess. His starry sky no longer really looks like a starry sky. Aren’t you playing down this “expressionistic” side of his work, and the break it represents with the art of the past?

CF > Why make a link between Greco’s View of Toledo (c1596/00) and Van Gogh’s Starry Night? One might be tempted to do that, but still find it a bit far-fetched: after all, the two artists are over two centuries apart, and Van Gogh probably never even saw Greco’s Spanish baroque masterpiece. But when we were working on the film, the conjunction instantly struck us as interesting, because you’ve got the same motifs (the wild sky, the steeple/spire at the centre), the same exhilarating yet disturbing atmosphere – and probably the same underlying intention.

The film had to be short, so we decided to focus on the romantic sources of Starry Night, with its reliance on the aesthetics of the sublime. But the brief reference to Greco at the end adds a further suggestion: there may also be a touch of the baroque in Van Gogh. The thing that makes Greco’s landscape baroque is the way it hits you in the face, and jolts or even frightens you – all for the purpose of calling you back to “the one true faith”. Van Gogh’s intentions are less clear-cut, but I think his picture has something of that too. You should never under-estimate the importance of Christian belief for Van Gogh, who had studied theology and tried to become a pastor, like his father. In his letters, when he’s trying to explain what he wants to do in his pictures, the word “consolation” turns up frequently. His aim is to produce images to comfort human beings – a prey on this earth to suffering, anguish and their own passions. But he’s not going to do that with cheap promises, with airy, saccharine visions of a paradise peopled by sweet, otherworldly beings, choirs of angels, and other feathered denizens of the heavenly hen-house. These were the staples of conventional religious art in his day – and totally at odds with the Protestant rationalism of an artist who preferred to take his motifs from the visible, everyday world, and deliberately gave them the rough, direct treatment they’d get from some simple artisan.

That’s what he does, for example, in Madame Roulin rocking the Cradle (1889): a rather heavy-set woman, wedged in an armchair against a floral background, and holding a cord she’s using to rock an invisible cradle.

Van Gogh originally wanted to flank her with two still-lifes of  sunflowers, and hang them as a triptych in a seamen’s bar in Arles, where he hoped they’d give the drinkers a sense of human warmth and comfort. He got the idea from a novel by Pierre Loti, which describes the agonies of sailors in a storm, praying before a rough china statuette of the Virgin and comforting themselves with thoughts of their wives and mothers on land. But there’s a difference: Van Gogh doesn’t give us the Virgin Mary, but Mother Roulin, a good-hearted native of Arles, who had welcomed him into her home, and whom he chose as a model because she was, for him, a vision of soothing and motherly warmth. The sunflowers were supposed to give the picture the feeling of a devotional image, with its floral offerings, placed there to save the seamen, not from shipwreck at sea, but from shipwreck on land – through alcoholism. Perhaps his Starry Night is another attempt to produce a “consoling” image – modern, secular and this time in landscape form. Van Gogh is inviting us to turn our backs on the illusory lights of the city, reflect on the enthralling, unearthly spectacle of the stars – and also find comfort in the sense of community we get from the villagers’ dwellings clustered beneath their proud steeple. Of course, this kind of moralising may come as a bit of a let-down today, may strike some of us as out-dated and off-putting – but it certainly isn’t at odds with a savagely audacious artistic vision. Van Gogh is showing us that an artist doesn’t have to glorify modern city life to be modern himself. And that, perhaps, makes him a kind of anti-Manet!

Manet – Masked Ball at the Opera (1873) – National Gallery of Art, Washington /

The Bar at the Folies Bergère (1880) – Courtauld Gallery, London.

CED > The film focuses mainly on night. Is the brushwork the same in the daytime pictures and portraits, and does it have the same significance? Isn’t night, after all, fairly marginal in Van Gogh’s work?

CF > No, it isn’t marginal – after all, his very first masterpiece, The Potato Eaters, is a night piece.

The Potato Eaters (1885) – Amsterdam

And Théo van Gogh seems to have thought that MoMA’s Starry Night  was just a study, and could have led on to something even more ambitious. In the film, we tried to link it, not just to the other night exteriors, but also to the interiors – which is what the exhibition, Van Gogh and the Colours of the Night, did at MoMA in New York and the Van Gogh Museum in Amsterdam, in 2008-2009. This gives us a far broader perspective, and helps us to see how Van Gogh’s work hangs together, with the help of elements like the structuring contrast between urban and rural life, artificial and natural light.

On the other hand, it’s far harder to systematise his brushwork, since he tries out numerous different techniques at the same time, without ever pinning them to particular motifs. In the film, for example, we see him using vertical blocks of colour for the night sky over the Rhône in 1888 – and using spirals for the same motif a year later.

At the same time, he’s also using spirals for light-coloured backgrounds in daylight – as he does in the Musée d’Orsay’s famous self-portrait.

Anyway, this whole question of spirals is fascinating, and there’s still a lot one could say about it. We compare it to pictures of  nebulae in popular handbooks of astronomy, but there’s certainly more to it than that. It’s disconcerting to find Signac also using a pointillist version of spirals a year later, in his strange portrait of the art critic, Félix Fénéon: it’s true the motif comes more or less directly from Japanese art, and is being used to experiment with rhythm in painting – but we may need to chase that further.

CED > In the film, you give various precedents for Van Gogh’s art  (Millet, the romantics, Greco), but you never connect him with a definite school, or name later artists he influenced. He seems, in fact, to be a bit of a chameleon: he starts pretty much as a naturalist, is influenced by the pointillists and impressionists when he gets to Paris, and the mature work he produces in Provence (1888-1890) is often called “symbolist” or even “expressionnist”. Are you afraid to commit yourself?

CF > It’s true Van Gogh resists labelling, but that applies to all artists, if you examine the full range of their work. It may be impossible to sum him up in one word, but we can still try with Starry Night: the movement it’s closest to is symbolism. Partly because experts on symbolist art like Albert Aurier were the first to recognise and appreciate Van Gogh’s last period in his own lifetime, but chiefly because Starry Night embodies one fundamental aspect of symbolism: the longing for a lost primal unity between the spiritual and the material. Van Gogh’s letters repeatedly show that he isn’t content with an art – like the art of the naturalists and the impressionists – which simply transcribes visual phenomena, be they social, or physical and optical. Unlike the scientific rationalists, who spend all their time trying to find out how the visible works by dissecting it, analysing it, and breaking it down into ever-smaller pieces, the symbolists are interested in synthesis, and are seeking a whole which can’t be represented, but can be evoked with the help of symbols, colours or certain artistic techniques. Looking at Starry Night, we instantly know that we’re not seeing the weather, but a spiritual landscape, and a visual meditation on the meaning of human life in relation to the forces of nature. In the film, we linked that to the sublime, because the sublime is a clear and familiar concept, although it certainly isn’t wide enough to cover all the picture’s meanings. Quite apart from the theme, however, Van Gogh’s brushwork – clear, expressive and subtly attuned to different motifs – is no longer trying merely to suggest the artist’s unique and personal presence (think of Delacroix’s romantic canvases), but to convey an idea, to give the visible a spiritual dimension: for example, the star resembles a violent and deadly explosion, while the cypress becomes a black flame, a bridge between heaven and earth. Van Gogh’s way of reconnecting and fusing matter and idea is unique to him; it’s very different from the one chosen by his contemporary, Gauguin (another “symbolist” admired by Aurier) – blocked-off areas of colour when he’s painting, and direct incising of wood when he’s sculpting.  And yet, fifteen years later, these two very different styles, and examples of non-European art seen in ethnological museums, are the very things which inspire a few young German artists in Dresden  to invent a new kind of art which comes to be known as expressionism. Nonetheless, some observers also see, in Van Gogh’s flowing and supple forms, something which points the way to art nouveau. Generally, art is moving so fast around 1900 – with so much exchange and so many new ideas – that it’s hard to identify later developments which definitely grew out of his art alone.

Les Ambassadeurs d’Holbein : interview critique de Peter Parshall

A l’occasion de la sortie de l’épisode 6 de l’Art en Question, Peter Parshall, ancien conservateur de la National Gallery de Washington et expert d’Holbein, nous a accordé une interview critique en rapport avec la version longue du film. L’interview a été recueilli en anglais et est traduit en français.

CED > Les Ambassadeurs représentent deux hommes entourés du meilleur de la technologie de leur époque, dans un environnement froid et claustrophobe, qui n’est pas sans écho avec la culture visuelle contemporaine. Dans une version abandonnée du scénario, nous pensions par exemple à la scène finale de 2001, l’Odyssée de l’Espace, “Jupiter au-delà de l’infini” (extrait vidéo 1, explication vidéo 2) : le héros spationaute y échoue dans un “zoo humain” où il se voit confronté à la mort et à une forme de renaissance. Bien sûr, Kubrick exprime des angoisses typiques de son époque, liées à la technologie nucléaire ou à la conquête spatiale, qui semblent avoir peu de rapport avec le côté triomphant de nos deux diplomates et de leurs outils. Peut-il néanmoins y avoir quelque chose d’éclairant dans ce type de comparaisons “anachroniques” ?

 

Peter Parshall > Il s’agit en effet d’une question très intéressante, et pas totalement anachronique selon moi : gardons à l’esprit que les Ambassadeurs ont été peints à une époque où la presse typographique, la boussole magnétique et la poudre à canon étaient considérées comme les plus grandes inventions humaines. Ces innovations capitales apparaissent respectivement, comme une méthode sans équivalent pour répandre des idées puissantes et parfois délétères, comme un outil de navigation facilitant la course des Européens pour s’assujettir le reste du monde et enfin comme un moyen efficace de tuer en masse. Ces réalisations ont suscité une grande anxiétéau sein de l’intelligentsia européenne : l’imprimerie n’était pas seulement importante pour la diffusion du savoir, mais aussi pour la propagande politique et religieuse, qui est souvent le revers pernicieux de la rhétorique politique. En ce qui concerne la boussole, dès les premiers voyages d’exploration, Bartholomé de las Casas, et d’autres, ont exprimé leur horreur devant les atrocités commises à l’égard des populations indigènes du Nouveau Monde, tandis que Thomas More et Michel de Montaigne, chacun à leur manière, ont consacré des écrits au sujet de l’ethnocentrisme et du besoin d’une compréhension plus bienveillante et “relativiste” des autres cultures. L’utilisation de la poudre, qui n’a bien sûr pas été inventée en Europe, a créé une série de conditions nouvelles de l’art de la guerre, la plus importante d’entre elles étant la possibilité de tuer à grand nombre de personnes à distance.

L’art de la diplomatie, dans le sens où nous le concevons aujourd’hui, a émergé en droite ligne de ces évolutions, ce que vous exprimez de façon tout à fait claire dans votre vidéo. Il est en effet devenu très rapidement évident qu’il fallait trouver une meilleure façon de résoudre les conflits que l’éradication de populations entières. Le portrait réalisé par Holbein exprime notamment cet état des choses, au sens, d’une part, où les deux ambassadeurs accomplissent des missions diplomatiques et, d’autre part, où ils donnent une importance telle à leur amitié qu’ils passent commande d’un double portrait pour la commémorer.

Il est intéressant de noter à cet égard que, bien qu’on attribue l’invention des premiers systèmes d’ambassades aux cités-Etats italiens, il fut acquis presque immédiatement que la langue internationale de la diplomatie devrait être le français, les Français refusant d’apprendre d’autres langues. Heureusement tout cela a changé, mais ce sont mes propres compatriotes qui ont maintenant hérité de ce “privilège du refus” ! Mais on pourrait dire que tous les autres facteurs sont restés en grande partie les mêmes.

Par conséquent, il y a une perspective tout à fait légitime selon laquelle ces deux ambassadeurs qui nous font face d’un air grave depuis leur espace confiné, avec leurs petits jouets soigneusement placés sur les étagères, expriment quelque chose de profond sur cette sombre situation. Ils font partie d’un monde où l’horizon géographique s’est immensément accru en une seule génération, d’une façon comparable avec la conquête spatiale: ce nouveau monde offrait d’immenses possibilités tout en étant à peine connu ou exploré. Dans ce contexte, les deux ambassadeurs pouvaient-ils encore se croire au centre du monde, ou se rendaient-ils compte que ce monde était lui-même en train de s’écrouler ? Les calculs de Copernic ont été imprimés seulement dix ans plus tard, ouvrant la voie à la démonstration du fait que terre ne pouvait être au centre de l’univers.

This is, in fact, a very interesting question, and I think not entirely anachronistic. One must keep in mind that the Ambassadors was painted at a time when the printing press, the magnetic compass, and gunpowder were declared to be the greatest of all human inventions. We can characterize those “breakthroughs” as follows: an unparalleled method for disseminating powerful, sometimes poisonous ideas; a navigational device that facilitated the European rush to subdue the rest of the planet; and an efficient means of mass murder. These achievements provoked a great deal of anxiety within certain sectors of the European intelligentsia. Printing was important not only to the dissemination of learning, but also the spread of religious and political propaganda, often a pernicious aspect of public rhetoric. As to the compass, in the early voyages of discovery Bartolomé de las Casas and others expressed horror at the atrocities committed against native populations in the New World, while Thomas More and Michel de Montaigne in their different ways wrote about ethnocentrism and the need for a relativised and sympathetic understanding of foreign cultures. The use of gunpowder, not of course invented locally, created an entirely new set of conditions for warfare, the most important being the possibility of killing large numbers of people at a distance.

The art of diplomacy as we now understand it was a direct outgrowth of this development, and you make this very significant in your video. It became apparent early on that there needed to be a better way of resolving conflict than the devastation of entire populations. Holbein’s portrait was partly a recognition of this state of affairs in the sense that the two ambassadors undertook diplomatic careers, and that they gave such importance to their friendship that they commissioned a double portrait to commemorate it. It is interesting to note that, although the Italian Renaissance city states are credited with first developing the ambassadorial system, it was conceded right away that the language of international diplomacy would have to be French because the French just refused to learn other languages. Happily it has now all changed, and my own countrymen have inherited this privilege of refusal! But one might say that the other factors have remained largely the same. So there is a way in which it is entirely appropriate to see the ambassadors gravely confronting us in their confined space with their little toys neatly placed on the shelves as expressing something profound about this grim situation. They lived in a world that inside a single generation had hugely expanded its geographical horizon, indeed in a manner comparable to the discovery of outer space. Likewise, this new situation offered so much possibility and so little of it as yet explored or understood. Was it possible for the ambassadors to imagine that they still stood at the center of the world, or did they see it was all falling apart? Only ten years after Holbein painted this double-portrait Copernicus’s calculations went into print. They provided the key to demonstrating that the earth could no longer be considered the center of the universe.

CED > La lecture de votre article sur les Images de la mort a été déterminante pour notre scénario. Selon vous, elles expriment une philosophie originale du peintre, qui va au-delà du message standard de l’église : “n’oublie pas que tu vas mourir et faire face au jugement de ton créateur”. Quelle est-elle et comment peut-on la déceler ? Vous évoquez une forme d’attitude sceptique, ironique et vous allez jusqu’à évoquer Montaigne et Pascal !

Peter Parshall > A propos de l’oeuvre d’Holbein dans son ensemble, on peut presque parler d’obsession pour les questions existentielles. Commençons par sa célèbre série de gravures sur bois, conçues dix ans avant les Ambassadeurs, et communément appelées Danses de la mort (plus proprement appelées “Images de la Mort”) : on peut y trouver une manière singulière, subtile et souvent ambiguë, de traiter de ce thème, avec une certaine réserve et une distance ironique. Holbein souligne en particulier que plus nous essayons d’échapper à l’inévitable, plus nous concourrons à nous en rapprocher.

En l’occurrence, nous parlons ici d’un sujet, la mort, qui ne saurait être plus proche d’une vérité universelle : elle est le fondement de la tragédie tout comme l’amour, sa contrepartie naturelle, l’est de la comédie. Telles sont les bases de la littérature occidentale, et après Homère et l’Ancien testament il était difficile de dire quelque chose d’original sur l’un comme l’autre. L’Eglise chrétienne, d’un autre côté, avait des idées bien à elle sur l’amour et la mort -la monogamie, la chasteté, la résurrection de la chair, le Paradis-, dont Holbein était l’élève et l’héritier. Il a également mûri à une époque de profonde crise religieuse, et était dans une certaine mesure un participant non consentant de ce débat féroce entre catholiques et réformateurs qui a tant accaparé la vie intellectuelle et politique du XVIème siècle au nord de l’Europe. Si l’on considère son oeuvre de façon générale, elle reflète ce contexte tendu, mais d’une façon “indépendante”, au sens où Holbein tente de se tenir à l’écart du fracas et de dégager une vision objective -ie. une vision qui exprimerait vraiment objectivement la condition humaine. Tout en reconnaissant l’impossibilité et même la vanité d’une telle tâche, on peut néanmoins rapprocher l’attitude d’Holbein d’un certain nombre d’autres penseurs de son temps, dont les plus notables sont Erasme, Thomas More, et un peu plus tard Montaigne, ainsi que Shakespeare. Leur lecture évoque les anciennes traditions philosophiques du stoïcisme et leur acolyte naturel, le scepticisme, qui tous deux visent à se détacher de la folie humaine et de la peur de la mort. L’épigramme de Montaigne que vous citez en conclusion de la vidéo souligne précisément ce point.

Si nous prenons l’exemple de l’image d’Adam labourant le sol, qui apparaît dans la vidéo (note : dans la version longue), le caractère brillant de l’ironie d’Holbein, et en même temps sa compassion, apparaissent clairement : expulsés du Paradis, Eve doit tisser ses vêtements et enfanter dans la douleur, et Adam doit labourer la terre. Il déracine un arbre avec l’aide de la Mort, retirant la vie dans le but de rendre le terrain fertile. De la même façon, Eve donne le sein à son premier fils Caïn, qui commettra le premier meurtre et assistera à la première manifestation de la mort dans le monde. La vie et la mort se conditionnent de façon inséparable, l’une est définie par l’autre. C’est cette vérité essentielle qui sous-tend toute la manière d’Holbein de représenter la vie humaine, et on la voit partout à l’oeuvre dans les Ambassadeurs. Il s’agit là du cadre de la pensée stoïcienne, dont les attitudes étaient partagées par de nombreux penseurs de la Renaissance qui se trouvaient mal à l’aise dans les circonstances de conflit, où le juste est souvent opposé au juste, et l’erreur opposée à un autre genre d’erreur. Holbein semble avoir fait partie de ce type de culture intellectuelle.

Etait-il opposé à l’enseignement de l’Eglise ? Pas véritablement, bien que la plupart de ces auteurs, et Holbein lui-même, eurent des difficultés avec les autorités religieuses. Le scepticisme visait les défauts humains, sujet sur lequel tant les chrétiens catholiques que réformés pouvaient largement s’accorder.

Looking at Holbein’s work overall one can almost speak of an obsession with existential questions. Beginning with his famous series of woodcuts known popularly as the Dance of Death (more properly Figures of Death), which he designed over a decade before the Ambassadors, one finds a distinctly subtle and often ambiguous way of dealing with the theme. He approaches the subject with a certain coyness and ironic distance, emphasizing in particular how the more we attempt to elude the inevitable, the more we fall into its path. Here we are talking about a subject that is as close as one can come to a universal. Death forms the basis of tragedy, just as love, its natural counterpart, forms the basis of comedy. These are the foundations of western literature, and after Homer and the Old Testament it was difficult to say anything truly original about either of them. The Christian church, on the other hand, had its own ideas about love and death -monogamy, chastity, the resurrection of the body, and heaven-, and Holbein was by inheritance a student of them. He also matured at a moment of intense religious crisis, and was to some extent an unwilling participant in the intense debate between Catholics and reformers that absorbed so much of the spiritual and political life of the sixteenth century in northern Europe. Considering his work in general, it appears to reflect these tense circumstances in an independent way. Independent in the sense that Holbein attempts to stand apart from the fracas and discover an objective view, which is really to say an objective view of the human condition. Recognizing that this is an impossible, even meaningless task, one can identify Holbein’s attitude in a number of other thinkers of his time, most notably Erasmus, Thomas More, a bit later Montaigne, and also Shakespeare. When we read their writings they evoke the ancient philosophical traditions of stoicism and its sidekick, skepticism, both of which allowed for distancing oneself from human folly and the fear of death. Montaigne’s epigram that terminates your video underlines exactly this point. If we talk as an example the image of Adam Tilling the Soil, illustrated in the video, the brilliance of Holbein’s irony, and at the same time his compassion, become clearer. Expelled from paradise, Eve must spin cloth and suffer in childbirth, and Adam must till the soil. He uproots a tree with the help of Death, taking life in order to make the ground fertile. Likewise, Eve nurses her first son Cain, who will commit the first murder and bear witness to the first instance of death in the world. Life and death are indivisible conditions, the one is defined by the other. It is this essential truth that runs throughout Holbein’s treatment of human life, and one sees it everywhere in The Ambassadors. It is the framework of stoical thought. These were attitudes embraced by many Renaissance thinkers, especially those who found themselves uncomfortable in circumstances of conflict in which right was often opposed by right, and wrong opposed by wrong. Holbein seems to have been part of that intellectual culture. Was it contrary to church teachings? Not really, although most of these writers, and Holbein himself, had their difficulties with the religious authorities. Holbein’s skepticism was directed at human failings, and that was a subject that both orthodox and reformed Christians could largely agree upon.

CED > Dans cet article, vous marquez d’ailleurs votre désaccord avec un auteur qui voit en Holbein “avant tout un artiste et non pas un réformateur de la société ou même un philosophe” et qui conteste toute possibilité de “lire” une pensée dans une image. Quelle est votre position plus générale sur cette question et pensez-vous qu’on fait de l’histoire de l’art différemment de votre côté de l’Atlantique ?

Peter Parshall > Savoir dans quelle mesure on peut découvrir les pensées personnelles d’un artiste à partir d’une peinture est un sujet compliqué : l’idée selon laquelle un chef-d’oeuvre est essentiellement la création de son auteur est très moderne, même si elle s’enracine à la Renaissance, en diverses manières très significatives. Néanmoins, toute commande majeure, telle que le sont les Ambassadeurs d’Holbein, doit être comprise comme le fruit d’une collaboration entre un artiste et un commanditaire, qui travaillent ensemble au sein d’une relation qui est presque toujours déséquilibrée. “L’argent fait la loi”, dit-on, et aucun artiste ne pouvait se permettre d’introduire quoi que ce soit que son commanditaire n’aurait pas aimé. Cela dit, Holbein semble avoir été tenu dans une estime toute particulière dans le monde des élites de l’Europe humaniste, les gens de cour comme les marchands. Il était aussi un esprit indépendantet a probablement quitté sa ville native de Bâle, non pas simplement pour trouver du travail, mais parce qu’il était en désaccord avec la direction que prenait la politique religieuse de la ville. Par exemple, Holbein a été convoqué à plusieurs reprises devant les autorités baloises pour attester de ses opinions à propos de la nouvelle église réformée, et il a également été témoin d’actes d’iconoclasme au cours desquels des oeuvres d’art religieux ont été détruites. Il avait donc ses opinions et une certaine compréhension du monde dans lequel nos deux ambassadeurs agissaient. Il serait ainsi absurde de dire qu’on ne peut lire une pensée dans une peinture. Je pense que l’auteur qui refusait de prêter à Holbein la moindre opinion réagissait par excès, même si je comprends tout à fait sa position : ce qu’il soutenait, c’est que les artistes faisaient habituellement ce qu’on leur demandait de faire.

Par conséquent, le problème est de savoir comment séparer les pensées d’un artiste de celles du commanditaire. La meilleure solution est d’étudier la carrière de l’artiste dans son ensemble afin de repérer ses éléments récurrents, non récurrents et ses innovations, ce qui dans le cas d’Holbein nous ouvre un territoire extraordinairement riche, parce qu’il n’était pas seulement peintre, mais aussi un fabriquant de gravures extrêmement prolifique. Une caractéristique importante des gravures de la Renaissance -à l’exception des portraits- est qu’elles se faisaient principalement sans commanditaire individuel. Les oeuvres gravées étaient conçues pour le marché ouvert, et par conséquent tout ce qu’elles expriment peut être tenu au premier abord pour le reflet des sympathies de l’artiste. Néanmoins, en tant qu’objets commerciaux, elles sont aussi conçues dans l’objectif de vendre, et il y a à nouveau un problème complexe d’intentions qu’il n’est pas toujours facile de résoudre. Mais, comme je l’ai déjà souligné, il y a un certain nombre de formes précises selon lesquelles Holbein traite ses sujets fondamentaux, et alors qu’il gagne en célébrité, on peut imaginer que ses commanditaires ont recours à lui parce qu’ils avaient de la sympathie pour sa pensée. Il me semble clair à tout le moins qu’Holbein “l’artiste” était aussi un “esprit” et que cet esprit se voit dans son oeuvre.

How much we can discover about the individual thoughts of an artist by looking at a painting is a very complicated question. The idea that a great work of art is purely the creation of its maker is a very modern one, although in important ways originating in the Renaissance. Nevertheless, any major commission like Holbein’s Ambassadors must be understood as a collaboration between an artist and a patron working together in a relationship that was almost always imbalanced. “Money talks,” as we say, and no artist was going to include something in a painting that the patron did not like. That said, Holbein seems to have held considerable status in the elite world of European humanists, courtiers and merchants. He was also an independent thinker, and probably left his native town of Basel not just because he needed a job, but because he disagreed with the way its religious politics were going. For example, Holbein was called more than once before the authorities in Basel to testify to his opinions about the newly reformed Church, and he was also witness to acts of iconoclasm in which works of religious art in churches were destroyed. He had his own opinions and some understanding of the world in which our two ambassadors acted. Meanwhile, it is absurd to say that one cannot read a thought in a painting. I think the author who refused to allow Holbein an opinion was over-reacting, but I do understand his position. What he meant was that artists usually did what they were told to do.

Therefore, the problem is how to separate the thoughts of the artist from the thoughts of a patron. The best answer is to study an entire career for its consistencies, inconsistencies, and innovations, which in Holbein’s case provide us with an extraordinarily rich territory because he was not just a painter but also a prolific printmaker. An important characteristic of Renaissance prints is that (apart from portraits) they mainly had no individual patrons. Prints were made for the open market, and therefore whatever they seem to express can be taken to reflect the artist’s sympathies. But of course as commercial objects they were also calculated to sell, and there we have again a complex problem of intention that is not always easy to resolve. But as I have already suggested, there are definite patterns to Holbein’s treatment of basic themes, and as he became more famous one imagines that patrons hired him because they found his thinking sympathetic. It seems clear to me at least that Holbein the artist was also a thinker, and that the thinker is visible in the work.

CED > Revenons maintenant aux Ambassadeurs. L’un des problèmes de ce tableau si riche, c’est de lui trouver une unité, de ne pas en faire une simple collection de symboles ou un rébus. Pour nous le dénominateur commun, c’est la notion de “mouvement” qui permet de conjurer la mort : “mouvement de l’âme” avec la conversion religieuse, “mouvement des diplomates” qui parviennent à concilier des points de vue opposés, à rétablir des équilibres dangereux pour les peuples, et enfin “mouvement du spectateur” autour de l’oeuvre, qui permet de réconcilier le plaisir de l’illusion et des sens avec une certaine lucidité sur les limites d’une image. C’est sans doute ce dernier mouvement dont il est le plus difficile de rendre raison avec clarté : tout comme la mort ne rend pas la vie vaine dans les Images de la mort, on a l’impression que Holbein nous dit “le caractère illusoire de l’art ne le rend pas vain”. Souscrivez-vous à une telle analyse et comment pourrait-on aller plus loin sur la “doctrine artistique” d’Holbein ?

Peter Parshall >Tout essai réussi -et votre vidéo est certainement une forme d’essai- doit être lié par un sujet fédérateur. Le “mouvement” est un bon thème, quoiqu’il puisse sembler trop facile à certains moments.

Contre l’idée selon laquelle le mouvement serait si essentiel, il y a un autre argument présent dans votre réflexion, à savoir l’hypothèse du tableau comme un microcosme, enveloppant, au sein d’un espace statique, aussi bien les cieux et le globe terrestre, ainsi que le large champ des plaisirs possibles sur la terre[1]. Dans cette perspective, la peinture apparaît comme une leçon de choses et un objet de méditation, focalisant l’esprit et stimulant l’introspection philosophique : elle nous presse de réfléchir à la valeur des êtres humains dans un contexte plus large et suscite des questions sur le sens de la vie. On pourrait donc dire que la peinture traite autant de la manière de trouver la “stabilité”que du “mouvement”.

Mais en même temps, je pense que l’oeuvre touche à la notion d’incertitude considérée sous le double point de vue du mouvement et de la stabilité : où nous situons-nous dans le système plus large des choses, et qu’est-ce que tout cela implique ? La fascination du peintre pour l’ambiguïté est l’une des caractéristiques remarquables de son langage visuel : s’il la partage avec d’autres artistes, elle semble le préoccuper davantage que beaucoup d’autres. Presque toutes les ambiguïtés de l’oeuvre sont identifiées dans la vidéo : les conflits entre les valeurs séculaires et sacrées, la coexistence de la vie et de la mort, l’imprévisibilité de l’amitié qui relie les individus ou les nations, et la question du salut. Pourrons-nous entrer au paradis et que pouvons-nous y changer ?

Mais parmi les différents sens de l’oeuvre, ceux qui me semblent les plus intéressants sont ceux qui ne peuvent être exprimés qu’à travers une peinture. L’anamorphose de la tête de mort en est l’exemple le plus évident : Holbein crée un jeu d’illusion sur une surface plane, en utilisant le système relativement récent de perspective à point de fuite unique pour y introduire un objet dont l’image a été construite selon les mêmes principes, mais selon d’autres prémisses, c’est à dire un angle de vue différent. Ce qu’il rend visible par cette tactique, c’est le fait que la réussite d’une illusion dépend de l’application particulière d’un certain nombre de règles, et que ces règles peuvent être modifiées. Ce jeu oblige le spectateur à changer de position pour comprendre cette forme étrange : ce faisant il doit abandonner la logique visuelle qui est celle du reste de l’image. Holbein fait donc une forme de “commentaire” sur le caractère relatif d’un espace représenté en peinture, commentaire qui peut ensuite être transposé aux divers autres sujets en jeu dans l’oeuvre. Non seulement ce point est donc une clé pour interpréter l’ensemble de l’oeuvre, mais cette clé n’a pu être que la création d’un artiste, car elle est fondée sur une compétence technique et une compréhension des choses qui appartiennent éminemment au peintre. De ce point de vue, nous pouvons affirmer qu’Holbein a imposé ses propres règles du jeu dans l’oeuvre, même s’il l’a fait au service de ses commanditaires, qui ont sûrement apprécié son tour. Mais ces derniers ont certainement insisté pour inclure bien d’autres éléments qui concernaient leurs propres vies et ambitions.

Globalement, la peinture peut certainement être qualifiée de “vanité”, servant l’orgueil du peintre comme des deux modèles. Mais en même temps, grâce à la tête de mort, au crucifix et à d’autres références, le tableau manifeste une forme de conscience de lui-même, et procure même une excuse pour sa propre vanité. En ce sens, il s’agit d’une forme de plaisanterie sérieuse.

Any successful essay — and your video is certainly an essay – must have a binding and inclusive theme. Movement is a good one, but at certain moments it can also seem too facile. There is a second argument in your essay that would contradict the idea of movement being so essential, namely the proposition that the Ambassadors is a kind of microcosm, containing within its static space the heavens and the globe, and the wide range of pleasures to be found on the earth[2]. In this way the painting is an object lesson and a focus of meditation. It centers the mind and encourages philosophical introspection. It asks us to consider the value of personal relationships within a larger frame, and provokes questions about the meaning of life. One could say the painting is about finding stability as much as it is about motion.

At the same time I think it is about uncertainty considered from both points of view: movement and stability. Where are we in the larger scheme, and what does it all mean? A remarkable quality of Holbein’s imagery is its fascination with ambiguity. As an artist he is not alone in this respect, but he seems to be more deeply concerned with it than most. Nearly all of the ambiguities in the painting are identified in the video: the conflicts between sacred and secular values, the co-existence of life with death, the unpredictability of individual friendship and friendship among nations, and the question of salvation. Will we make it to heaven or not, and what to do about it?

When we consider the meanings of a painting, however, what I find most interesting are those meanings that can only be expressed through a painting. In this case the most obvious is the anamorphic skull. Here Holbein is playing a game of illusion on a flat surface, taking the relatively new system of one-point perspective and then placing an object in the painting that has been constructed according to the same rules but with a different premise, a changed angle of view. What he exposes by this tactic is the fact that a successful illusion is based on following a certain set of rules in a certain way, and that those rules can be changed. The game forces the viewer to shift position in order to understand this alien form, and in doing that the viewer temporarily loses the visual logic of the picture overall. Here Holbein is making a comment about relativity in painted space. It is a comment that can then be transferred to various other themes present in the work. Not only is it a key to the meaning of the entire work, it is distinctively an artist’s key. It comes from a particular skill and understanding that belongs first to the painter. So in this respect we can say that Holbein has imposed his own game plan on the work, although at the service of his patrons, who surely appreciated this trick. But they themselves must have insisted on the inclusion of many other things that concerned their own lives and ambitions.

Altogether the painting can certainly be considered a vanity: a boast by the painter and by each of the sitters. At the same time, with the skull, the crucifix and other references it declares its own self-awareness, and even offers an apology for its vanity. It is in this way a kind of serious joke.

CED > En quoi les enjeux de ce tableau dépassent-ils le cadre de son époque ?

Peter Parshall > Toutes ces question sur les problèmes de l’illusion, de la vanité et de la mort s’intègrent à un questionnement ancien sur les artsqui se poursuit toujours actuellement. Platon était en effet déjà préoccupé qu’une oeuvre d’art puisse abuser les gens, et les opinions du Moyen-âge chrétien témoignent d’une inquiétude similaire à propos de la production d’images saintes. Être trompé peut être tantôt comique tantôt fatal : Adam et Eve ont attiré de graves ennuis en écoutant la mauvaise personne. Dès la Grèce antique, il semble que certains artistes étaient acclamés pour être parvenus à faire passer un objet peint pour véritable, et le fait de rejouer à ce jeu au temps d’Holbein présentait un grand attrait.

De ce point de vue, Holbein appartient à une longue tradition qui comprend, parmi d’autres artistes, Jan van Eyck, Jean-Auguste-Dominique Ingres, et en un sens également l’artiste américain hyperréaliste Richard Estes. Il est juste selon moi d’affirmer que ces comparaisons ne sont pas juste superficielles, même si un examen plus attentif révélerait rapidement que les différences sont plus évidentes que les ressemblances. Tous ces artistes manifestent effectivement une fascination persistante pour les techniques permettant aux images d’apparaître “réelles” à s’y méprendre, ce que les Français appellent “trompe-l’oeil”.

Mais nous ne devons surtout pas imaginer -au prétexte qu’ils vivaient il y a plus de 500 ans-, que les commanditaires d’Holbein auraient eu plus de difficulté que nous à distinguer une peinture du roi du roi lui-même. Dans le cas contraire, ils n’auraient pas conservé leurs responsabilités bien longtemps ! La réussite d’une illusion a toujours dépendu d’une forme “de convention mutuelle” permettant de jouer le jeu. Il ne s’agissait pas d’un “truc” de magicien. Ce type particulier d’art illusionniste semble avoir eu la préférence de la tradition occidentale plus que partout ailleurs et cette préférence pourrait refléter une forme atypique de narcissisme occidental et peut-être également une attirance exceptionnellement forte pour le monde matériel. Repenser à Holbein selon cette perspective, en incluant des références aux effets numériques des films et jeux vidéo contemporains, pourrait nous offrir une occasion de le voir d’une nouvelle façon, mais je ne trouverait pas cela très intéressant ! Néanmoins, je pense que les maîtres anciens doivent être redécouverts de toutes les manières possibles, et qu’ils recèlent des secrets qui sont toujours assez intéressants pour qu’un certain nombre de gens se rendent dans les musées pour les examiner soigneusement et réfléchissent à ce qu’il voient, et peut-être même trouvent une pensée cachée dans une peinture.

All of these questions about illusion, vanity, and death are part of a dialogue about the arts that had been taking place for some time and continues to the present. Indeed, Plato was already worried about people being deceived by a work of art, and medieval Christian opinions about making holy images were equally troubled. Being fooled is sometimes just comical, but at other times it could be fatal. Adam and Eve already got into serious trouble for listening to the wrong person. Already in ancient Greece it seems artists were praised for fooling their audience into believing that something painted was actually there, and in Holbein’s time playing that game had great appeal. In this respect we can say he falls into a long tradition that includes, among many other artists, Jan van Eyck, Jean-Auguste-Dominique Ingres, and in a sense also the American photo-realist Richard Estes. It is fair to say, I think, that these comparisons are not completely facile, although when we look at them closely the differences quickly become more obvious than the similarities. What all of these artists do represent is a continuing fascination with the skills involved in making pictures that look deceptively “real,” or what the French call “trompe l’oeil.” But we should not imagine that just because they lived 500 years ago Holbein’s patrons had any more difficulty than we do knowing the difference between a painting of the king and the king himself. If they did they would not have kept their jobs for very long. Illusion was always a matter of mutual agreement about enjoying a game. It was not a magic trick. This particular kind of art seems to have been a preference in the Western tradition more than anywhere else. This preference may reflect an unusually Western form of narcissism, and perhaps also an unusually strong attraction to the material world. Thinking about Holbein from this perspective, perhaps including some reference to digitalized effects in contemporary film and video games, might give us a way of seeing him anew. But I would not find that very interesting! Nonetheless, I think these old masters need to be rediscovered in whatever way we can, and that they hold secrets that are still interesting enough to make some people go to a museum to look carefully and think about what they see, perhaps even find a thought hidden in a painting.

Quelques ouvrages de l’auteur

Une sélection de lectures conseillées par Peter Parshall
Histoire et histoire de l’art

Littérature

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[1] Évidemment, une “vanité” en peinture (et il s’agit à l’évidence d’une énorme vanité) consiste à un niveau à dénier la valeur des choses matérielles et de la vie mortelle. Mais en même temps, ce message nous est adressé via un medium -la peinture-, qui célèbre à la fois les choses matérielles et la vie en ce monde : la jeunesse, la prospérité, la beauté, le pouvoir, la richesse et la grande réputation. Tous ces éléments comptent parmi ce “large champ des plaisirs”.
[2] Of course, a vanitas painting (and this is certainly a HUGE vanitas) is on one level about denying the value of material things and mortal life. But at the same time that message is being sent to us in a medium (painting) that celebrates both material things and life in this world: youth, prosperity, good looks, power, wealth, and high reputation. These are all among “the wide range of pleasures”.

Contribuer à la synchronisation des sous-titres

L’aide à la synchronisation des sous-titres est vivement appréciée ! Si vous souhaitez devenir volontaire : écrivez-nous à traducteurs [at] canal-educatif.fr.

Ce premier tutorial introductif (vidéo de 7min) explique comment synchroniser des sous-titres avec une voix-off (activez la qualité HD et le plein écran pour que cela soit lisible) :

Téléchargez le logiciel à partir de ce lienAegiSub

Pense-bête : principales opérations évoquées dans le tutorial

  • Clic bouton droit de la souris sur l’onde sonore : assigne le timecode de fin
  • Clic bouton gauche de la souris sur l’onde sonore : assigne le timecode de début
  • Touche “R” du clavier : permet de réécouter le passage entre le timecode de fin et de début

Règles de synchronisation

  • Ne faites jamais apparaître un sous-titre avant la voix : calez le timecode de début exactement au début de la voix
  • Lorsque deux sous-titres sont très proches, évitez l’apparition d’un “blanc” trop court : sélectionnez les sous-titres concernés et utilisez la commande Synchronisation/Rendre les temps continus (accessible par un clic droit de la souris)
  • Laissez deux secondes environ après la fin d’un sous-titre si possible

Pour approfondir : un second tutoriel pour synchroniser les sous-titres correspondant aux titrages (titres, intertitres, générique)

Création de sous-titres pour CED & l’Art en Question : tout ce qu’il faut savoir…

Voici une série de questions-réponses pour vous aider à démarrer la création de sous-titres pour contribuer à diffuser les vidéos de CED partout dans le monde.

Photo de l'Art en Question épisode 5

Q : Où trouver les projets en cours de traduction ?

R : Les voici : (mise à jour le 20/2/2013 à 16h30 heure de Paris)

Q : Je souhaite faire une traduction : par où commencer ?

R :

  1. Tout d’abord, inscrivez-vous ici ! Ce formulaire vous permet d’être enregistré auprès de Canal Educatif et de vous prévenir des chantiers de traduction et des vidéos en avant-première.
  2. Ensuite, créez-vous un compte utilisateur gratuit sur Amara, qui est le site de traduction en ligne que nous utilisons pour centraliser le travail de traduction.
  3. Enfin, choisissez un des projets listés ci-dessus : vous pourrez vérifier et éditer une traduction déjà effectuée, en terminer une en cours ou bien en démarrer une nouvelle. Attention de bien cliquer sur le lien d’enregistrement de votre travail (voir plus bas).

Q : Comment fonctionne l’édition de sous-titres en ligne sur Amara ?

R : Tout démarre avec la page d’accueil d’un projet de sous-titres (cliquez sur l’image pour l’agrandir). Par exemple celle-ci.

La page de traduction de la vidéo Van Gogh

C’est le point central à partir duquel vous pouvez créer, réviser et visionner des sous-titres :

  • Pour créer de nouveaux sous-titres, cliquez sur le lien “démarrer une nouvelle traduction” (cerclé en rouge ci-dessous) puis de choisir une langue cible et une langue source (toutes les sous-titres existants peuvent devenir des sources).
    Lien de création de nouveaux sous-titres
  • Pour réviser des sous-titres existants, cliquez sur “improve these subtitles” dans le menu reproduit ci-dessous situé juste en-dessous de la vidéo :
  • Pour visionner les sous-titres (en bas à gauche ci-dessus) cliquez sur un des intitulés accompagnés d’une pastille de couleur : le verte signifie que les sous-titres sont complets, le rouge que la traduction en est à moins de 25%. En cliquant sur l’une d’entre elle, vous verrez le texte s’afficher sous la forme d’un transcript.
  • Lancer la lecture de la vidéo en alternant l’affichage des sous-titres de votre choix.

Q : Comment se passe concrètement l’édition de sous-titres ?

R : Si vous cliquez sur un lien intitulé “Modifier ces sous-titres”, “Créer des sous-titres” ou “Improve these subtitles”, vous accédez à une page d’édition des sous-titres.

Page d’édition des sous-titres

A gauche, en dessous chaque sous-titre écrit dans la langue de traduction “source” (ici le français), vous pouvez écrire la traduction dans la langue “cible”.

Quand vous avez fini de travailler (pause ou autre) il est indispensable de cliquer sur le lien “Save & exit” à droite (ou sur le bouton “Done”) : vos changements sont alors enregistrés dans une nouvelle “révision” de la traduction.

Q : Comment se prémunir contre tout risque de perte de données pendant la traduction en ligne ?

R : La règle de base pour utiliser Amara est d’être toujours connecté à Internet et de ne jamais laisser une traduction en cours plus de 30 min sans sauvegarde. Dès que vous voulez faire une pause, cliquez sur le lien “save & exit” (voir plus bas) ou sur le bouton “Done”.

Si vous vous apercevez qu’Amara n’enregistre pas votre travail (problème de connexion réseau), ne fermez pas votre navigateur :

  • Cliquez sur le lien “Download subtitles”
  • Sélectionnez les sous-titres
  • Copiez les dans le presse-papier (Ctrl C)
  • Copiez les dans un mail ou un fichier vide (Ctrl V) que vous vous envoyez à vous-même.
Nouveau : Comment faire une copie de secours de ses sous-titres ? (PDF)

Q : Puis-je d’abord faire une traduction “offline” avant de la mettre en ligne ?

R: Si vous êtes habitué à utiliser un logiciel (par exemple Aegisub), c’est effectivement possible :

  1. commencez par créer quelques sous-titres en ligne sur le site collaboratif Amara pour signaler que vous êtes au travail.
  2. téléchargez les sous-titres dans la langue source
  3. ouvrez ce fichier et modifiez-le
  4. quand vous avez terminé chargez ce fichier sur Amara ou envoyez-le par mail à CED

Q : Manquez-vous de traducteurs pour certaines langues ?

De façon générale, nous n’avons jamais assez de volontaires, non seulement pour traduire mais aussi relire des traductions, y compris pour des langues dites “rares”.

Parmi les langues suivantes comportant plus de 100 millions de locuteurs dans leur langue maternelle, nous avons particulièrement besoin de traducteurs en allemand, russe, japonais, chinois et bengali.

Q : Comment communiquer avec d’autres membres de l’équipe de traduction ou avec CED ?

Vous pouvez avoir besoin de communiquer notamment à ces occasions :

  • Pour vérifier le sens d’une phrase de la vidéo originale, vous pouvez nous écrire via ce formulaire ou sur traducteurs [at] canal-educatif.fr
  • Si vous souhaitez inviter un autre traducteur à vous aider, vous pouvez lui adresser un message via son profil (il suffit de voir qui est l’auteur d’une autre traduction et de cliquer sur “écrire un message” directement sur le site Amara).
  • Si vous avez terminé une traduction, prévenez-nous et n’hésitez pas à écrire à un autre traducteur pour qu’il fasse une relecture. Une personne extérieure à la traduction sera toujours mieux à même de voir les fautes.

Q : Ai-je des droits sur une traduction que je créée ?

Une traduction est une version dérivée d’un texte original qui est lui-même protégé par le droit d’auteur.

En réalité, tout ce travail de sous-titrage a lieu de façon informelle : Amara ne permet pas facilement de supprimer des sous-titres, ni d’empêcher une autre personne de créer une version dérivée.

Il faut donc être conscient que la traduction de sous-titres sous Amara répond à une philosophie bénévole et que la principale protection de vos droits réside dans le fait que personne ne peut modifier directement une version de sous-titres que vous avez créée.

Q : A partir de quel moment pourrai-je mesurer l’impact des sous-titres auxquels j’ai contribué ?

A partir du moment où une version de sous-titres est révisée, CED pourra les incorporer en tant que versions finales sur Youtube et sur le site www.canal-educatif.fr : c’est à ce moment là que le public y aura totalement accès. D’autres options de diffusion sont envisagées : dans tous les cas, la présence de sous-titres est une condition nécessaire pour intéresser plus de monde.