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Rembrandt (1606-1669)
Le Retour du Fils prodigue (1663/65)
La force du côté obscur (12 min)
22156 visions, 7 commentaires
Note moyenne : 4.9 / 5
Excellent. A imiter
Analyse didactique claire et simple qui fait entrer dans le vie de l'artiste et de son monde (personnel et sociétal)
Rien
par
Excellent. A imiter
comparaisons avec d'autres tableaux, mise en évidence des lignes des fuite...
1) il faudrait citer le musée, où est accroché le tableau, dans le commentaire 2) la voix off manque de théâtralité
J'attends : Klimt
par
L’histoire du fils prodigue peut paraître bien éloignée des critères actuels de la justice (un fils débauché mais repenti davantage fêté qu’un fils fidèle). Le film s’intéresse à la manière dont Rembrandt met en scène un amour paternel inconditionnel et gratuit, éloigné de tout didactisme. Au-delà de son identification biographique naturelle avec le fils prodigue, le film montre que Rembrandt invente une esthétique originale à mi-chemin de deux théâtralités : celle de la foule et du théâtre de rue, celle de l’obscurité et du mystère.
Expert scientifique : Jan Blanc, université de Genève ; réalisateurs : Erwan Bomstein, Rémy Diaz
Pour chaque épisode de l’Art en Question, CED réalise une interview destinée à approfondir le film. Gary Schwartz, éminent spécialiste de Rembrandt, auteur de deux monographies de référence et du blog The Schwartzlist, nous fait l’honneur de répondre à nos questions sur le Fils prodigue et les questions méthodologiques que suscite Rembrandt. Les réponses sont à chaque fois traduites en français.
CED > Rembrandt est l’un des artistes à propos duquel on a souvent recours à des termes tels que “mystère”, “clair-obscur” ou “génie”, ce qui peut apparaître comme une facilité. Si je découvrais Rembrandt à l’occasion de ce film sur le Retour du fils prodigue, quels conseils me donneriez-vous pour essayer de saisir ce que son travail a d’essentiel ? A quoi faut-il être particulièrement attentif ?
Gary Schwartz > Ce n’est pas pour pour rien que nous parlons “d’amour” de l’art : dans le domaine de l’appréciation de l’art, il est parfaitement approprié d’utiliser des termes superlatifs ou d’estimer que certaines oeuvres ne peuvent être que le fruit d’un grand génie. Mais, la critique d’art et l’histoire de l’art doivent se montrer plus circonspectes. Entre 1890 et 1969, l’Homme au casque d’or (Berlin) – qui fut aussi la première oeuvre acquise pour ce musée par sa toute nouvelle société d’amis – était célébrée comme l’une des plus grandes oeuvres de Rembrandt. En 1969, l’historien de l’art américain Ben Rifkin a osé mettre en doute le fait que le tableau avait été peint par le maître : le statut de cette oeuvre a décliné progressivement au cours des quinze années suivantes, jusqu’à ce que le musée de Berlin lui-même organise une exposition pour démontrer aux descendants de l’ancien public berlinois que ce n’était effectivement pas un Rembrandt. Par conséquent, même si l’oeuvre est restée la même, sa perception a profondément changé. Cette expérience doit nous mettre en garde sur la valeur contingente des jugements prononcés en matière de qualité d’une oeuvre ou de “génie artistique”.
The use of superlatives in art appreciation is entirely in its place, as is the conviction that certain works can only have been made by a great genius. It is not for nothing that we speak of the love of art. But in art criticism and art history we should be more circumspect. From 1890 to 1969 The man in the golden helmet in Berlin – the first work acquired for the museum with the support of the new Friends society - was worshipped as one of Rembrandt’s greatest paintings. During a 15-year period after the American art historian Ben Rifkin in 1969 dared to question whether it was painted by the master, it declined bit by bit in status, until the museum devoted an exhibition to demonstrate to the descendants of that Berlin public that it was not by Rembrandt. Even if the painting remained the same object, the way it was perceived underwent a sensitive change. This experience alone should be enough to warn us that judgments of quality and estimation of genius in art are contingent values. Even if they do not often change as dramatically as in the case of The man in the golden helmet, they are always in motion.
CED > Vous faites référence à l’instant à une « démonstration » qui a modifié l’appréciation d’une œuvre d’art. Dans ce cas les « jugements de qualité » ne deviennent-ils pas moins contingents ?
GS > Pour être franc, je ne pense pas que les arguments et les preuves avancées lors de l’exposition de Berlin en 1986 soient aussi concluantes que ce que le musée l’a prétendu. L’intention du musée était de revendiquer ostensiblement son respect de la vérité, ce qui pourrait l’avoir conduit à légèrement exagérer la valeur de sa démonstration. Ma philosophie personnelle est que la vérité existe, mais sous des formes si enchevêtrées, si complexes et si mouvantes qu’il est impossible de mettre précisément le doigt dessus. Du point de vue humain, tout est contingent, mais certaines choses sont plus contingentes que d’autres. Le système de valeurs au nom desquelles Rembrandt est doté du statut de grand artiste est plutôt stable, mais les oeuvres grâce auxquelles il est et a été estimé changent en permanence.
To be frank, I do not think that the arguments and evidence advanced in the 1986 Berlin exhibition were as conclusive as the museum argued. It was intended as a show of respect for the truth on the part of the museum, whereby the truth value of the « demonstration » might have been slightly exaggerated. My own philosophy is that truth exists, but in such overlapping, complex and dynamic forms that we cannot pin it down. From the human perspective, everything is contingent, although some things are more contingent than others. The system of values that honors Rembrandt as a great artist has been fairly constance, while the works for which he was and is esteemed change all the time.
CED > Le premier fil que nous pouvons suivre, s’agissant du fils prodigue, c’est le problème posé par la parabole elle-même : le retour du fils prodigue au bercail est plus fêté que la fidélité du fils vertueux. On peut y voir une forme “d’utilitarisme divin”, qui préfère convertir que prêcher les convertis, ou un témoignage de l’amour que Dieu accorde inconditionnellement. Quelle hypothèse peut-on faire concernant l’intérêt de Rembrandt pour cet épisode biblique et la manière dont il le transforme ? S’agit-il, en bon protestant, de faire de la figure du père aimant un équivalent de ce qu’est la Vierge pour les catholiques ? S’agit-il pour Rembrandt de s’identifier au fils prodigue, comme le suggère l’autoportrait en fils prodigue de Dresde et le fait que le Retour du fils prodigue n’a pas été vendu ?
GS > De ce point de vue tout à fait significatif, il semble que l’on n’a pas assez remarqué – y compris, je le crains, dans mon propre livre – que le Retour du fils prodigue trouve son prédécesseur dans le Jacob bénissant les fils de Joseph conservé à Cassel. Les deux oeuvres représentent un fils cadet béni au détriment d’un fils aîné. Dans l’histoire de Joseph, Ephraïm reçoit de son grand-père la bénédiction qui était due à Manassé. Il s’agit donc de deux peintures évoquant le déshéritage. Des héritiers légitimes se voient relégués et démis de leurs privilèges par un patriarche.
Dans le livre de la Genèse, 48, l’attitude de Jacob -comme celui du père dans la parabole de l’Enfant prodigue- suscite aussi le mécontentement, non pas du frère Manassé, mais du père de ce dernier, Joseph. Le texte est sans équivoque : “Joseph remarqua que son père avait posé sa main droite sur la tête d'Ephraïm. Cela lui déplut et il prit la main de son père pour la faire passer de la tête d'Ephraïm sur celle de Manassé.” (48:17). Il me paraît extrêmement significatif, et il ne peut s’agir d’un simple hasard, qu’ici comme dans le cas du Retour du fils prodigue, Rembrandt décide de faire abstraction de toute colère. Alors qu’un contemporain comme le Guerchin montre un Joseph furieux qui en vient presque à lutter avec son père, le Joseph représenté par Rembrandt sourit pendant qu’il esquisse le plus doux des gestes réparateurs.
Peut-on faire le lien avec la personnalité de Rembrandt ? Tout en restant conscient que rien ne peut être prouvé, je me permettrais néanmoins d’initier une théorie. Rembrandt était l’un des cadets de sa famille, le neuvième de dix enfants. Il n’a pas pris la suite des affaires familiales, et bien qu’il n’ait pas été déshérité par ses parents, il a certainement été exclu du testament de sa soeur aînée et de sa propre épouse. Quand Saskia donne sa propriété à Titus, elle crée une situation qui favorisera la ruine de Rembrandt.
Mon hypothèse pourrait se poursuivre ainsi : dans les images bibliques dont nous discutons, Rembrandt s’identifie avec les fils cadets, favorisés par rapport à leurs aînés. Il peut ainsi s’imaginer en bénéficiaire d’une faveur et d’une fortune qui l’ont abandonné. Comme vous le relevez, dans ses jeunes années, il s’était effectivement dépeint sous les traits du jeune fils prodigue, en train de jouir d’une vie de débauche. Au moment où il connaît la ruine, il souhaite sans doute que les conséquences de ce choix puissent être réparées, comme dans la parabole.
En tant que “re-créateur” de ces deux scènes, Rembrandt n’accepte pas que les membres désavantagés ou frustrés de la famille expriment leur déplaisir. Joseph, sa femme et Manassé dans la première oeuvre, ou le frère aîné dans la seconde, restent silencieux et relativement inexpressifs. Tels que l’artiste les voit - ou plutôt les forge - ils sont les témoins de leur affaiblissement, qu’ils acceptent au profit du plus jeune fils.
Mais même si de telles associations d’idées ont pu oeuvrer chez Rembrandt de façon inconsciente, il est possible que l’interprétation théologique que vous vous proposez ait pu simultanément être en tête de ses préoccupations conscientes “d'interprète du christianisme protestant”.
It does not seem to have been observed – not even in my own book, I’m afraid – that in this important regard the Prodigal son has a predecessor in Rembrandt’s Jacob blessing the Sons of Joseph in Kassel. Both paintings depict a younger son being blessed at the expense of the older son. In the Joseph story the younger son, Ephraim, is given by grandfather Jacob the blessing that by rights belonged to Menasseh. They are both paintings of disinheritance. Rightful heirs are being demoted and disadvantaged by a patriarch.
In Genesis 48 the behavior of Jacob, like that of the father in the parable, also evokes displeasure, not on the part of Menasseh but of his father Joseph. The text could not be more unequivocal: "When Joseph saw that his father laid his right hand upon the head of Ephraim, it displeased him; and he took his father's hand, to remove it from Ephraim's head to Manasseh's head" (48:17). It strikes me as extremely significant, and no matter of sheer chance, that here as in The Return of the Prodigal Son Rembrandt leaves out the anger. Whereas a contemporary such as Guercino showed a furious Joseph nearly wrestling with his father, Rembrandt's Joseph makes the gentlest corrective gesture and smiles as he makes it.
Can this be related to Rembrandt’s personality? In all awareness that any such attempt cannot be proven, let me nonetheless launch a theory. Rembrandt was a younger son, the ninth of ten children. He did not take over the family business, and although he was not disinherited by his parents, he certainly was cut out of the wills of his older sister and wife. When Saskia left her property to Titus, she created a situation which was to lead to Rembrandt's financial downfall.
My speculation would go like this: In the Biblical images we are discussing, Rembrandt identifies with the younger sons, who are favored above the older ones. He sees himself as the recipient of the favor and fortune he had forfeited. As you point out, in earlier years he had actually painted himself as the younger, prodigal son himself, rejoicing in his debauchery. When he faced ruin, he wished that the effects of that choice could be undone, as in the parable.
As the re-creator of the two scenes, Rembrandt does not allow the disadvantaged or irritated members of the family to express their displeasure. Joseph and his wife and Menasseh in the one painting and the older brother in the other are mute and fairly expressionless. As the artist sees them – no, fashions them – they witness and accept their own diminution in favor of the younger son.
Meanings of this kind might have been operating subconsciously on Rembrandt. As an interpreter of Protestant Christianity, he may well at the same time, in the forefront of his mind, have harbored the theological interpretation you propose.
CED > Le film voit dans le Fils prodigue un exemple d’obscurcissement volontaire de l’histoire biblique : ce que l’histoire perd en didactisme, elle le gagnerait en mystère et en universalité. Pourtant, d’autres artistes font usage de l’obscurité. Ce terme suffit-il à nous placer au cœur de l’esthétique de Rembrandt ? Peut-on repérer une stratégie cohérente “d’obscurcissement” dans le reste de la production de l’artiste ? Y a-t-il par exemple un rapport à tisser entre le Fils prodigue et d’autres sujets religieux “obscurcis”, par exemple les différents états des gravures de la Passion ?
GS > On ne peut pas nier que dans un assez grand nombre de ses compositions, Rembrandt échappe à une identification iconographique précise. Cela commence avec l’une de ses peintures d’histoire majeures, qui a suscité près de vingt interprétations différentes, et que l’on appelle maintenant, en désespoir de cause, “la Peinture d’histoire de Leyde”. Son Andromède est la seule peinture de ce sujet sans le personnage de Persée. Il manque un torrent d’or à sa Danaé. L’étreinte de cette autre peinture du Musée de l’Ermitage traduit-elle la réconciliation de David et Jonathan, de David et Absalom ou celle de David et Mephiboseth ? Qui sont l’homme et la femme dans la peinture qu’on appelle la Fiancée juive ? Dans mon livre sur Rembrandt de 1984, j’ai suggéré des identifications supplémentaires pour ces différentes peintures, mais aucune d’elle n’a été acceptée par mes collègues - pour le moment !
Parfois Rembrandt n’oublie pas des attributs mais en ajoute. Dans l’une des gravures de la Présentation au Temple, la prophétesse Anna est accompagnée par un vol de colombes apparemment sacrées ; dans Jacob et les fils de Joseph, il n’y a pas mention de la femme de Joseph dans la Bible, qui apparaît dans la scène créée par Rembrandt. Dans le Fils prodigue de Saint-Petersbourg l’identité des personnages reste indéterminée.
Je ne pense pas que Rembrandt cherchait à créer de l’obscurité. Il cherchait plutôt à créer des combinaisons qui ne faisaient pas partie du code iconographique traditionnel. Peut-être cherchait-il à créer une forme de confusion pédagogique, dont le but était d’obliger le lecteur à réexaminer le sujet de l’oeuvre. Cela ne fonctionne pas toujours !
It cannot be denied that a fairly large number of compositions by Rembrandt elude precise iconographical identification. This starts with one of his first major history paintings, which has inspired some 20 different interpretations, and which is now called, out of sheer disheartedness, The Leiden History Painting. Rembrandt’s Andromeda is the only painting of that subject without a Perseus. His Danae lacks a shower of gold. Is the reconciliation in another painting of an embrace in the Hermitage between David and Jonathan, David and Absalom or David and Mephiboseth ? Who are the man and woman in the painting called The Jewish bride? In my book of 1984 on Rembrandt I suggested alternative subjects for these paintings, none of which has – yet – been accepted by my colleagues.
Sometimes Rembrandt does not leave out attributes but adds them. In one of his etchings of the Presentation in the Temple (version a), the prophetess Anna is accompanied by a flight of seemingly sacred doves; in Jacob and the sons of Joseph there is no mention in the Bible of Joseph’s wife, who is painted into the scene by Rembrandt. In the Prodigal son in St. Petersburg the identity of the figures is left unspecified.
I do not believe that Rembrandt was out to create obscurity. He was after associations that were not part of the standard iconographic code. Perhaps he meant to create a bit of pedagogic confusion, to force the reader to think again about the subject. This does not always work.
CED > La thèse plus générale du film est que Rembrandt concilierait deux formes de théâtralité dans ses tableaux religieux, en réponse à une attente du marché. L’une de ces théâtralités, qui cherche à frapper violemment le spectateur, dériverait indirectement du Caravage. L’autre, plus proche du théâtre de rue, plongerait l’action religieuse au milieu de la vie contemporaine, et impliquerait une forme d’identification, de participation du spectateur. Cette observation vous paraît-elle juste et peut-on aller plus loin ?
GS > Svetlana Alpers a évoqué une image convaincante et séduisante, en comparant l’atelier de Rembrandt à un théâtre (voir cet article en français ou cette critique en anglais). Les rôles y seraient joués par ses élèves, les modèles (ndrl: figures en glaise ou mannequins) et décors de scène mis en place et les histoires prendraient vie à mesure qu’elles seraient portées sur le papier et la toile. Il s’agit d’une technique professionnelle où intervient cependant une dimension fortement personnelle, un petit peu comme dans le fait de jouer au théâtre selon la méthode Stanislavski. Cette manière d’envisager son enseignement s’appuie sur le contenu de quelques notes griffonnées par Rembrandt sur ses dessins, qui se préoccupent essentiellement de l’histoire et de l’action.
Même lorsqu’il fut obligé de plaire au marché, Rembrandt n’a pas abandonné sa façon de créer des histoires dramatiques. Dans les années 1650 et 1660, lorsqu’il avait le plus besoin du soutien du marché, son travail est resté remarquablement sobre et mesuré.
Le Retour du fils prodigue a servi de support à un exercice de participation du lecteur/spectateur, déployé à l’échelle d’un livre entier intitulé Le Retour de l’Enfant prodigue : revenir à la maison, publié en 1992 par Henri Nouwen (1932-1996), un prêtre d’origine hollandaise. Nouwen entre dans l’esprit et les sentiments de chaque personnage de la parabole et du tableau. Il se pose des questions à la fois pénétrantes et sans concession sur les émotions, le comportement et les préoccupations de chacun. Il relie cette analyse à sa propre vie et à sa propre relation à Dieu, ce qui le conduit à s’adresser des questions encore plus difficiles. Ce que Nouwen accomplit est à l’opposé d’une démarche d’historien : au lieu d’essayer de se situer au XVIIe siècle, Nouwen essaye de ramener la création de Rembrandt au présent : pas le présent de l’actualité journalistique, mais le présent psychologique et intime au coeur du spectateur. Parallèlement à l’approche historique à laquelle je voue mes efforts, j’éprouve un grand respect pour cette manière de traiter Rembrandt. Cela crée un terrain commun au sein duquel chacun peut aller à la rencontre du peintre et des personnages du tableau, d’une façon qui n’exige pas de l’érudition mais de l’introspection, de la concentration et une difficile probité. Cela n’est guère éloigné de ce que Rembrandt faisait lui-même lorsqu’il concevait son art religieux : pourquoi ne pas le faire nous-mêmes ?
Une approche que je ne peux cautionner en revanche consiste à nier la différence entre l’histoire et l’introspection. Un certain nombre d’auteurs mélangent leurs propres réactions à l’oeuvre avec des reconstructions historiques, et prétendent ensuite que leurs conclusions ont une validité historique. Je lutte contre cela.
Svetlana Alpers has evoked an enticing and convincing picture of Rembrandt’s studio as a theatre (book review). Parts would be acted out by the pupils, models and sets would be put into place, stories would be brought to life as they were committed to paper and panel. This is a matter of professional technique with a highly personal edge, like acting according to the Stanislavski method. This view of his teaching is borne out by the content of the few notes to pupils that Rembrandt scribbled on drawings, which are mostly concerned with the story, the action.
When it came to pleasing the market, Rembrandt did not go out of his way to create drama. In the 1650s and ‘60s, when he was most in need of market support, his work is noticeably restrained.
The Prodigal son has been subjected to a book-length exercise in reader/viewer participation – The return of the prodigal son : a story of homecoming (1992) – by the Dutch-born priest Henri Nouwen (1932-96). Nouwen entered the mind and feelings of each of the characters in the parable and the figures in the painting. He asks penetrating, unsparing questions about the emotions, behavior and interests of all concerned. He relates this analysis to his own life and his own relation to God, posing even harder questions to himself. What Nouwen does is the opposite of history. Rather than trying to put himself back into the 17th century, like an historian, Nouwen tries to bring Rembrandt’s creation into the present. Not the political present of the newspapers, but the personal, psychological present in the heart of the viewer. Alongside the historical approach to which I am committed, I have great respect for this use of Rembrandt. It creates a middle ground in which all of us can meet Rembrandt and the figures in his paintings on terms that demand not erudition but introspection, concentration and painful honesty. This is close to what Rembrandt was doing when he conceived his religious art. Why not do it ourselves ?
An approach that I cannot sanction is the denial of the difference between history and introspection. Some authors mix in their own reactions to work by Rembrandt with historical reconstructions, claiming historical validity for the results. At this I balk.
CED > Le film ne parle pas vraiment de la touche et de l'emploi des couleurs. Or la différence avec un Caravage ou caravagesque d'Utrecht est frappante. Qu’en pensez-vous ?
GS > A son époque, Rembrandt était vraiment perçu comme le “Caravage hollandais”. Les termes dans lesquels la comparaison était posée ne concernaient cependant ni la couleur ni la touche. Leur point commun était d’être considérés comme des artistes qui avaient tourné le dos à la tradition et ne travaillaient qu’en contact direct avec la nature. C’est faux, bien sûr, mais comme les admirateurs des artistes sont souvent attachés à leur réputation de “bad boys”, cette légende ne s’arrêtera pas. Aussi loin que puissent aller les emprunts des Hollandais à l'art italien, il faut d’ailleurs rappeler qu’ils se faisaient majoritairement par l’intermédiaire de gravures en noir et blanc, ce qui semblait ne déranger personne, la couleur étant ajoutée “en bout de chaîne”. Les contrastes entre le clair et l’obscur dans l’oeuvre de Rembrandt et du Caravage sont donc comparables, mais Rembrandt a développé ses propres solutions au problème du clair-obscur.
Il n’est que trop tentant d’opposer l’oeuvre de Rembrandt avec celle des caravagistes d’Utrecht, comme s’ils étaient les tenants de principes opposés. Dans sa jeunesse, Rembrandt a souvent croisé leur chemin et il a parfois imité Gerrit van Honthorst. Selon moi, leurs différences, tout comme celles de tous les artistes européens de l’époque, sont plus marginales qu’essentielles. Il est arrivé que ces différences aient joué un rôle pour juger de la nature et de la qualité du travail d’un artiste, mais cela est resté rare. J'essaie de ne pas penser les oeuvres du passé dans le cadre de catégories modernes.
Gerrit van Honthorst, le Fils prodigue (1623), Munich
Rembrandt was truly seen in his time as the Dutch Caravaggio. The terms in which this comparison was posed did not however have to do with color or touché. They both were considered artists who turned their backs on tradition and worked only from nature. This is of course untrue, but since admirers of the artists are often attached to their bad-boy reputations, it will not go away. As far as Dutch borrowings from Italian art go, it is well to recall that this took place in large measure through engravings in black-and-white. This seemed to bother no one. Color was supplied at the receiving end. The light and dark contrasts in the work of Rembrandt and Caravaggio are comparable, but Rembrandt worked out his solutions for chiaroscuro on his own terms.
It is too easy to contrast Rembrandt’s work with that of the Utrecht Caravaggists, as if they represented opposing principles. In his early years, Rembrandt’s path crossed theirs repeatedly, and he sometimes emulated an artist like Gerrit van Honthorst. As I see it, the differences between them, as between all European artists of the time, were marginal rather than essential. Sometimes these difference played a role in judging the nature and quality of an artist’s work, but most often they did not. I try to avoid latter-day categories in looking at historical art.
CED > Dans votre travail, vous avez contribué à corriger la vision que l'on avait du peintre, qui ne correspond pas à celle d’un humaniste mystique enfermé dans son studio obscur, mais un bon vivant, affairiste et flambeur, pas extrêmement cultivé, ce qui semble justement corroborer l’identification au Fils prodigue. Plus généralement, en quoi vos découvertes ont-elles modifié l’appréhension du travail de Rembrandt ? Changer de point de vue sur la vie du peintre a-t-il changé la manière dont on apprécie son œuvre sur le plan esthétique ?
GS > Veuillez m’excuser de vous corriger, mais je ne vois en Rembrandt ni un bon vivant, ni un affairiste ni un flambeur. Je crois Houbraken lorsqu’il dit que Rembrandt était un travailleur fanatique qui se serait contenté d’un hareng et d’un bout de pain pour travailler la nuit. Bien sûr, il a été accusé d’être vénal, mais on le disait déjà à son époque : cela était donc déjà établi avant mes recherches. Mais dans tous les cas, je ne suis pas totalement d’accord : il était certes assez irresponsable en ce qui concerne l’argent, mais la cause n’en résidait toutefois pas dans jeu, mais dans sa passion de collectionneur.
S’agissant de trois de ses traits personnels, je crois cependant que mes écrits ont modifié la perception de mes confrères, et petit à petit également du public. Il était capable d’être extrêmement cruel sur le plan personnel, comme en témoigne la manière dont il traite sa maîtresse Geertge Dircx ; il était presque incapable de compromis dans une négociation, si bien qu’il se retrouvait en permanence en conflit juridique avec tout un chacun ; il n’était pas non plus ami des Juifs, mais un chrétien dont l’antagonisme à l’égard du judaïsme était typique de son temps. Tous ces élément de démythologisation contredisent l’humanisme de Rembrandt, mais le rendent aussi plus humain.
En repensant à l’intransigeance dont il faisait preuve dans les négociations, il m’a semblé que cette même caractéristique psychologique qui lui a tant fait de tort dans ses relations avec autrui, notamment dans le domaine financier, a été une vraie bénédiction pour son art. Nous ne nous attendons pas à ce que les grands artistes fassent des compromis avec leur génie, n’est-ce pas ?
Excuse me for correcting the question, but I do not see Rembrandt as either un bon vivant, un affairiste or a flambeur. I believe Houbraken when he says that Rembrandt was a fanatic worker who would be content with a herring and a piece of bread as he worked on into the evening. True, he was accused of being a money-grubber, but that was already being said in his time. It did not take my research to prove this. In any case, I do not really agree. He was irresponsible with money, not through gambling, but by indulging his passion for collecting.
Concerning three personal traits, I believe that my writings have changed the picture of Rembrandt among fellow specialists, and little by little for the public as well. He was capable of great personal cruelty, which he displayed in his treatment of his mistress Geertge Dircx ; he was nearly unable to compromise in negotiations, so that he continually ended up in legal battles with all and sundry ; and he was not a friend of the Jews, but a typical Christian of his time in his antagonism to Judaism. These bits of demythologizing take away from Rembrandt’s humanitarianism but fill out his humanity.
Thinking later about his intransigence in negotiations, it occurred to me that a psychological feature that damaged him in his relations with others, especially in financial matters, may have been a great blessing to his art. We do not expect great artists to compromise their genius, do we ?
CED > Y a-t-il quelque chose de Rembrandt qui ne se trouve pas dans le Fils prodigue ?
GS > Ce qui pourrait y manquer n’importe pas. La qualité distinctive du Fils prodigue, qui suffit à le racheter et submerge le spectateur est cette évocation extrêmement poignante du pardon et de la reconnaissance. Qui n’aurait pas soif d’une reconnaissance aussi inconditionnelle prodiguée par un père qu’on aurait abandonné, ainsi que du pardon absolu de nos péchés et de nos méfaits ? On ne peut avoir l’occasion d’éprouver ces situations dans la vie réelle, et c’est pourtant celles-là que Rembrandt nous procure.
It does not matter what may be missing. The single quality of the Prodigal son that redeems it and overwhelms the viewer is its nearly unbearably poignant evocation of acceptance and forgiveness. Who would not crave unqualified acceptance by a father one has abandoned and complete forgiveness for one’s shortcomings and wrongdoings. These things cannot be had in real life, but Rembrandt gives them to us.
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Le 13 Avril 2013
Voilà enfin des tableaux et leurs auteurs comparés à leur pairs...merci
Le 13 Janvier 2013
Bonjour, très intéressant comme toujours, serait ilpossible à l'avenir de mentionner les musiques que vous utilisez dans vos films ?
Le 23 Janvier 2013
0 visiteurs sur 1 ont trouvé ce commentaire intéressant
Elles sont indiquées dans l'onglet "Musiques du film" sur cette page.
Le 20 Juin 2012
4 visiteurs sur 4 ont trouvé ce commentaire intéressant
Très intéressant et instructif, comme toujours !
Pouvez-vous cependant me dire qui est l'auteur des gravures utilisées pour illustrer l'histoire du fils prodigue au début du film ?
Merci
Le 20 Juin 2012
5 visiteurs sur 5 ont trouvé ce commentaire intéressant
Merci !
Les gravures du début sont essentiellement des oeuvres de Maarten van Heemskerck (1498-1574). On aperçoit aussi un Fils prodigue au milieu des pourceaux de Dürer, puis un fils prodigue en train de dépenser sa fortune auprès des prostituée d'Augustin Braun.
20000 €
Réalisation & scénario
Erwan Bomstein-Erb
Rémy Diaz
Expertise scientifique
Jan Blanc
Production
Erwan Bomstein-Erb
Rémy Diaz
Traduction anglaise
Vincent Nash
Voix-off
Erwan Bomstein-Erb (français)
Mark Jane (anglais)
Vidéographistes
Christopher Montel
Prise de son
Arnaud Prudon
Choix des musiques
Rémy Diaz
Post-production
Louis Vecten
Envie de travailler avec nous ?
Le 23 Février 2016
1 visiteurs sur 1 ont trouvé ce commentaire intéressant
analyse fouillée et perspicace merci d'attirer notre attention sur une foule de détails importants que nous n'aurions pas forcément remarqués