L’un des titres de ce rapport du prestigieux cabinet de stratégie américain (Rapport mckinsey – closing the education gap) a le mérite de la clarté. Il pourrait s’appliquer autant à la France qu’aux Etats-Unis : « Why top students don’t want to teach » (pourquoi les meilleurs étudiants ne veulent pas enseigner ?).
L’étude tombe à point nommé puisque sa publication intervient alors que sont publiés, en France, les chiffres attestant de la désaffection pour les concours enseignants. Ainsi, cette année, il y a seulement 1303 candidats aux écrits de maths pour 950 postes offerts (voir par exemple cet article), pour prendre l’exemple le plus frappant de non sélectivité et de “non-désir”.
Voilà un vrai “problème de civilisation” au pays de l’excellence mathématique : ce sont peut-être les moins bons étudiants en mathématiques, ceux qui auront eu avec elle le rapport le plus laborieux, le plus scolaire, le plus “extérieur” qui vont devoir l’enseigner !
La nouvelle “étoile du Berger” : “great teaching” ou l’éducation d’excellence
Recentrer le débat…
“The world’s best-performing school systems make great teaching their “north star.”
Quel écart avec la France, où le débat public sur l’éducation se focalise toujours sur des questions périphériques, aussi séduisantes et hypnotiques que techniques : les rythmes scolaires, l’interdiction ou non des devoirs, la question de savoir si on traumatise les élèves en les notant, la sempiternelle question de la “bonne méthode”, etc.
Tout cela est très certainement très intéressant et très pertinent d’un point de vue spécialisé, mais cela masque néanmoins ce qui est plus essentiel et plus général, et donc plus “politique” : le ressort principal de l’éducation ce sont ses hommes, et ce qui menace gravement l’éducation dans les pays développés, c’est désormais la fuite structurelle des meilleurs étudiants face à cette profession.
Connaître les aspiration du “top 30%” des étudiants
L’un des apports de cette étude de McKinsey est de chercher à comprendre quel est l’écart existant entre les attentes des meilleurs étudiants (les membres du “top30″ n’envisageant pas d’enseigner) et la profession d’enseignant.
Ainsi, sur 15 critères de choix d’un métier classés par ordre d’importance, on peut mesurer l’écart entre les qualités perçues du métier favorisé par ces répondants et celles du métier d’enseignant :
- Ainsi, le 6ème critère de choix “si je fais bien mon travail, j’en tirerai une récompense financière“ fait partie pour 75% des répondants des aspect valorisés par leur métier cible, mais seulement pour 13% d’entre eux en ce qui concerne l’enseignement : un record de 62 points d’écart ! L’enseignement n’est donc pas du tout perçu comme étant méritocratique.
- Pour le 1er critère de choix, “le métier attire le type de personnes avec qui j’aimerais travailler“, seuls 39% répondent favorablement pour le métier d’enseignement, avec un écart de 38 points.
- Pour le second critère “je serais fier de dire aux gens que c’est mon métier“, l’enseignement ne s’en tire pas si mal (66% contre 95% pour le métier cible). 29 points d’écart.
En résumé les critères sur lesquels l’écart en défaveur de l’éducation sont maximaux sont :
- (1) la rémunération en fonction du mérite (62 points)
- (2) le niveau de salaire en début de carrière (55 points)
- (3) le niveau de rémunération proportionné aux compétences et efforts apportés (55 points)
D’ailleurs seuls 33% pensent que le métier d’enseignant leur apporterait les ressources nécessaires pour subvenir aux besoins d’une famille.
Au contraire, les points forts du métier d’enseignant résident dans sa “noblesse” : c’est donc un métier dont on est fier, et dont on ne doute pas de l’utilité, mais visiblement “désargenté”.
Un métier noble, mais déclassé : un constat qui recoupe l’expérience commune
“The quality of an education system cannot exceed the quality of its teachers.”
L’expérience commune corrobore a priori cette conclusion.
De “notables” ou d’individus a priori respectables, qui incarnaient le fait que les savoirs étaient liés à une certaine réussite sociale et matérielle, les enseignants sont désormais perçus comme membres d’une profession « ingrate », que l’on embrasse soit pour des motifs extraordinairement nobles et désintéressés avec un tempérament de missionnaire, soit comme une « roue de secours ».
Par ailleurs, si l’on consulte modestement ses souvenirs d’élève, chacun sait que le paramètre le plus important d’une expérience éducative réside dans les qualités personnelles de l’enseignant : son charisme, sa maîtrise du sujet, son intelligence, son esprit, etc… Entre un enseignant qu’on respecte, à la fois humain et magistral, et un quidam sympathique mais paumé au milieu de ses recettes pédagogiques consciencieusement appliquées, “il y a un monde”.
L’auteur de ce blog ne croit pas au fait que des règles quelconques parviendront à remplacer ce qui n’appartient qu’aux enseignants les plus brillants : une telle maîtrise de leur sujet et de leurs moyens qu’ils peuvent improviser, adapter le discours à leur auditoire, faire face à des questions inattendues, etc, bref penser à autre chose qu’aux rudiments de leur discipline. Et ce n’est d’ailleurs plus là un point de conviction personnelle : il existe une corrélation prouvée entre les progrès d’une classe et l’excellence académique de l’enseignant, comme le souligne encore l’étude.
Le problème central de l’éducation, il faut l’affirmer haut et fort, c’est donc celui d’attirer les meilleurs et les plus brillants vers elle, et donc d’accorder à ces derniers le niveau de gratification et de reconnaissance qu’ils attendent et qu’ils obtiennent facilement ailleurs, c’est-à-dire dans les carrières privées (ie en dehors du métier d’enseignant).
Comment valoriser l’excellence éducative ?
Rémunérer autrement
La question financière et centrale comme le prouve l’étude McKinsey.
En France, la progression indicielle des salaires dans l’Education nationale est tellement anémique, et tellement peu liée au mérite (c’est-à-dire à la capacité de l’enseignant à faire progresser les élèves toutes choses étant égales par ailleurs), qu’il faut vraiment croire à la « volonté sainte » ou à un « esprit de sacerdoce » pour croire qu’elle n’est pas un problème. A mes yeux, il devrait exister depuis longtemps un système de primes annuelles dans l’Education nationale équivalent à au moins deux mois de salaires pour le « top 10% » ou le « top 5% » des enseignants.
On me répondra que l’aspect pécuniaire de devrait jamais être le moteur principal d’un enseignant et c’est vrai, mais il faut raisonner à l’envers, c’est à dire du point de vue de la société : bien rémunérer une profession, c’est lui donner du prestige, c’est témoigner du fait qu’il existe un consensus social sur sa valeur.
Il n’est plus temps de faire de l’enseignant l’image d’un Socrate en guenilles face aux riches sophistes. Autant la question de l’argent pouvait être taboue alors qu’il existait un fossé entre les valeurs de l’université et de l’école et celles d’un monde du travail “taylorien”, autant aujourd’hui personne ne doute qu’il existe au contraire une convergence entre valeur éducative et valeur économique : les entreprises et les économies les plus innovantes du monde s’arrachent les cerveaux.
On se complait à dénoncer les « difficultés du métier d’enseignant », mais il existe 1.000 professions difficiles qui ne connaissent pas de désaffection. Il est peut-être ingrat de se faire chahuter en ZEP, mais quel plaisir si l’on arrive à s’imposer, à créer une rencontre improbable entre une discipline et des élèves qui n’auraient pas eu la moindre probabilité de la connaître sans vous !
N’attirerait-on pas d’excellents hommes et femmes même vers des postes difficiles, si la capacité à mener ses classes vers une réussite exceptionnelle était récompensée par exemple d’un doublement du salaire annuel ? Vu l’immense valeur économique que représente une bonne éducation (réussite future des élèves, réduction de la délinquance, etc), un enseignant excellent dans le secondaire ne devrait-il pas pouvoir gagner entre 3000 et 6000€ net par mois grâce à des primes au mérite ? Ce n’est peut-être pas là une condition suffisante ou un remède miracle, mais j’affirme que rien ne pourra être fait de bon dans le domaine de l’éducation avec la grille salariale existante.
Internet & Canal Educatif
La nécessité de donner du prestige à l’Education est une des raisons qui m’ont poussé à fonder Canal Educatif.
Ce que je veux, c’est fondamentalement offrir un degré d’exposition médiatique à des contenus éducatifs de qualité largement supérieur à celui d’une classe : il me semble que des individus brillants (enseignants ou non) méritent aujourd’hui une audience massive au risque d’être marginalisés et méconnus dans la société. Et je ne veux évidemment pas parler de la petite gloire qu’on tire de tel ou tel ouvrage spécialisé ou scolaire (l’édition scolaire est un ghetto) : je veux parler d’une audience grand public.
Dans le domaine qui est celui de Canal Educatif, il y a également un défi financier, certes difficile à relever, mais qu’il faut avoir en tête. C’est l’objet de l’expérience Holbein (ce film est financé par des dons d’internautes) : peut-on réussir à obtenir de l’argent et des financements via des dons, via la vente de DVD, etc… pour d’excellents contenus éducatifs ?
Si la réponse est oui, nous serons en mesure de remplir une partie de cet objectif qui devrait être celui du système éducatif français : récompenser, y compris financièrement, l’excellence éducative, comme l’excellence est récompensée dans toute entreprise moderne.
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