Le Président et Banksy : deux docus pensants

Intéressé par le statut de l’art et par Machiavel, je ne pouvais manquer les deux documentaires Le Président (consacré à la campagne d’un célèbre homme politique local) et Faites le mur de l’artiste Banksy.

Sans être des films éducatifs, pourquoi ces deux films ont-ils un intérêt pour nos esprits et donc pour ce blog consacré aux “contenus pensants” ?

En ce qui concerne Faites le mur, la bande-annonce française est trompeuse : loin d’être un film sur le street art, il s’agit plutôt d’étudier l’évolution d’un “groupie” (Thierry Guetta), qui suit et filme fébrilement une série d’artistes underground. Banksy, le plus prestigieux d’entre eux, est la dernière conquête à ajouter à son tableau de chasse.

Outre la question de savoir si l’on peut vivre par procuration, on peut surtout voir comment le plus grand fanatisme à propos de l’art peut s’accompagner de la plus grande mécompréhension de celui-ci. Car le “fan” montre qu’il est un bien piètre “amateur” : à la faveur de l’envolée de la cote de ses anciens amis, il quitte les petites joies de la clandestinité et de la rébellion, s’engouffre dans la brèche et décide à son tour de devenir un artiste, en faisant du pop-art à la chaîne et en appliquant toutes les recettes de com’ possibles. La police rivale hier devient utile pour contenir les fauteurs de trouble dans une grande exposition trendy organisée à Los Angeles.

Un de mes vieux manuels de philosophie faisait comprendre la différence entre le “style” des véritables artistes et la “manière” que se contentent de copier les suiveurs, de façon plus ou moins systématique. Dans ce manuel, le camp du bien était incarné par de La Tour et le camp de la manière par Caravage et les caravagesques !

Quoi qu’on puisse penser des deux exemples précités, le film de Banksy est un moyen plus direct et plus cru de voir une “pure manière” à côté d’artistes qui cherchent à se définir un style. Il fait également réfléchir sur le degré d’appréciation des oeuvres d’art, non pas simplement du public, mais des acheteurs : car Brainwash alias Thierry Guetta a bien évidemment un certain succès auprès du public bobo trop content d’être invité à ce qu’il tient pour être l’événement “où il faut être”, celui qui permettra d’assister en direct à la naissance d’un artiste majeur qui se dote immédiatement de tous les moyens d’un grand (lieu d’exposition immense, factory avec jeunes artistes payés à la journée, etc)… et le film donne même à voir l’oeuvre de Banksy chez une riche américaine qui ne comprend rien à l’art, tant elle se contente seulement d’accumuler des “signatures”, des prix… et surtout d’acheter la même chose que ses copines qui ont des Klee ou des Warhols chez elles.

Le plus intéressant ce n’est donc pas de réfléchir sur les “vrais” et “faux” artistes, mais de réfléchir à la nature de la demande pour l’art : en quoi exigeons-nous plus d’une visite au Louvre ou au Centre Pompidou que ce qui verrait notre collectionneuse ou un Thierry Guetta ? Et en quoi consiste ce “plus” : que reste-t-il de notre appréciation de l’art quand on y a ôté tout ce qui est non artistique ? Le plaisir de raconter qu’on a été à l’exposition qui compte en ce moment, le plaisir de s’associer à une “vie d’artiste” que nous n’avons pas, le plaisir de raconter une anecdote dans une conversation, etc ? Loin d’êtres tristes, ces raisons d’appréciations “extérieures au goût” forment une surface toujours changeante et variée selon la mode et les époques : c’est en quelques sortes la trame de ce film.

Je reviendrai plus tard sur le Président : un autre délice sur les Machiavels de collectivités territoriales… et sur l’insondable fatuité des petits publicitaires de province qui “font” les élections en espérant qu’on leur confie un jour un “vrai produit” avec un vrai budget, alors qu’il faut se contenter pour l’instant d’attendre les dividendes d’une élection…

Bonne année 2011 – Happy New Year

La provocation reste très modérée, mais cette année j’ai voulu trancher avec le style “carte de voeux Unicef“.

On l’oublie trop souvent mais l’éducation ce ne sont pas les “bons sentiments”, ce n’est pas la somme de toutes les “belles causes” sur lesquelles on aimerait “communiquer” auprès des “d’jeuns”.

L’Education c’est avant tout ce qui, dans le sens le plus structurel, rend l’esprit plus libre. Or, un esprit libre est capable de réfléchir sur tout, y compris ce qui n’est pas mignon, ni gentil, à l’image de cette vision de l’enfer peinte par Jérôme Bosch. On ne saurait d’ailleurs la regarder aujourd’hui trop “au premier degré” : qui croit encore à cet Enfer ?

Je relisais récemment à une toute jeune fille l’histoire de Thésée et du Minotaure. Guère “politiquement correct” cette histoire qui commence par des hommes dévorés, se termine par le suicide d’un père en passant par l’oubli d’un serment d’amour !

L’Education n’a donc pas à imiter la communication traditionnelle des produits grande consommation en promettant une suite continue de petits plaisirs. Ecoute-t-on seulement de la musique pour se mettre en forme le matin ? Regarde-t-on des tableaux seulement pour être réconforté ? L’Education, à l’image de la littérature et de l’art, exerce l’esprit y compris en lui donnant l’habitude de prendre du plaisir à ce qui est contradictoire, problématique, non rassurant.